"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
A quarante ans, Lin Yutang (1895-1976), chinois ayant en partie vécu aux USA et en Europe, livre ici une sagesse de vivre puissante, fondée sur un humanisme positif, nourri de liberté et d'amour de la vie, qu'Epicure ou Montaigne n'eussent pas reniée.
Lin Yutang nous apporte ici la suite de son premier tome (Enfances Chinoises), avec la même sensibilité et le même souffle. Le récit se termine par l'effroyable conquête japonaise, qui va le contraindre à quitter son pays. Mais il conserve sa foi dans ses valeurs (sa terre chinoise et la cellule familiale) et conserve son optimisme et sa confiance.
Tout ce qui a été dit pour Enfances Chinoises peut être répété ici et en particulier sa conviction que la molécule familiale est un élément-clé d'une civilisation équilibrée et paisible. La substitution de l'individu à la cellule familiale (ou à tout autre lien : politique, religieux, national, etc.) qui a lieu chez nous, mais aussi en Chine aujourd'hui pourrait bien lui donner raison. Que reste-t-il aujourd'hui aux hommes, comme lien autre que l'intérêt personnel, pour construire leur société ? Quelle utopie délirante ne vont-ils pas construire, puisque l'on sait qu'un retour en arrière serait encore pire ?
Un point mérite particulièrement notre attention dans ce livre : la sauvagerie japonaise dans sa conquête de la Chine. Nous le savions, mais c'est si loin ! LY montre d'une manière touchante et crédible ce qui s'est passé et les drames humains que cette invasion a provoqués. Certes, les Japonais n'ont pas l'exclusivité. Il suffit pour s'en convaincre de visiter le musée de la bombe A d'Hiroshima, ou de lire les récits des bombardements au phosphore de Dresde ou Hambourg. Sans oublier Auschwitz.
Pour conclure, insistons sur le coté paisible de ce roman en dépit de ce qui y est exposé et sur la richesse humaine et la sagesse qui en émanent. Une grande réussite.
Voir également du même auteur : "L'Importance de vivre".
Cette fresque, presque balzacienne, nous fait vivre, au cours des années 1900, les derniers moments de la dynastie mandchoue, que la République de Sun Yat-sen allait renverser en 1912. Tout cela est écrit avec une paradoxale légèreté par l'épicurien qu'est LY et fait de ce livre un rare moment de plaisir.
L'écrivain (1895-1976) a connu cette période critique de la Chine. Il écrit ce roman peu après son exil en 1939, provoqué par la poussée japonaise. Est-ce une évocation de ses racines et du contexte de sa jeunesse aisée ? Sans doute. Il avait à peine 20 ans quand la République s'installe et ces événements, y compris la Guerre des Boxers, l'ont évidemment marqué.
Il me semble aussi que LY, fin lettré chinois, nous rappelle que les valeurs de sa civilisation et en particulier celles attachées à la molécule familiale sont éternelles. Elles sont, pour lui, la condition d'un équilibre plus profond que celui que recherchent les révolutionnaires de tous poils. Confucius pas mort... C'est au sein de cellules familiales tissées par des mariages, où les sentiments jouent un rôle, mais secondaire, que tout se déroule, que chacun cherche à imprimer sa propre existence. Mais alors, l'individu n'écrit pas sa vie sur une page blanche, mais sur la partition et dans les tonalités que sa famille favorise.
On pourrait presque dire aussi que LY voit dans cet équilibre individu-famille la condition d'une vie humaine où les grandes craintes, comme la misère, la solitude, sont conjurées. Sur cette base, l 'épicurien qu'il est construira sa "vie heureuse", en disposant de la sérénité nécessaire. Il ne saurait pas le faire sans cela, en particulier dans un monde où il serait seul, comme celui que LY sentait venir et qui est aujourd'hui le nôtre. Qui pourrait prétendre que les institutions sociales ont remplacé l'efficacité et la chaleur des liens familiaux ? Mais c'est une autre histoire.
Cette saga est agréable à lire, paisible et est d'une richesse humaine et d'une sagesse qui peuvent encore nous toucher.
Un grand écrivain.
Voir également du même auteur : "L'Importance de vivre".