"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
L'hôtel Lutetia a été un des lieux focaux de quelques drames du siècle passé. L'auteur, avec une expression juste et pondérée, nous propose d'en partager trois, essentiels, autour de la dernière guerre. Son talent en fera un passionnant roman.
L'affaire nous est contée par le "détective" de l'hôtel, au courant de tous les secrets du fait de sa fonction. Un homme solitaire, détaché, loin de toute position partisane.
Pendant 20 ans, un intellectuel français, Georges Pâques (GP), normalien, haut fonctionnaire, a trahi pour le compte du KGB russe, sans être inquiété. Il ne le sera guère plus après son arrestation, puis rapidement libéré, bien protégé par ses pairs. Une étonnante biographie romancée (à mon sens partielle) de cette trahison à tiroirs.
La thèse que l'orgueil démesuré de GP l'aurait conduit, seul face à sa conscience, à commettre sa trahison, me paraît légère. Il méritait à l'époque la peine de mort, requise lors de son jugement, puis commuée en prison. Cerise sur le gâteau, il fut libéré assez rapidement. Cela prouve la sollicitude dont il a bénéficié d'un Etat qui, sans doute, avait des dettes à son égard.
Il me semble que l'histoire des relations complexes entre la France et la Russie soviétique, face aux USA n'a pas encore reçu la clarté nécessaire. De Gaulle partageait un anti-américanisme sévère avec GP et, plus largement avec les "intellectuels communistes" français. Etait-ce un choix ou une obligation ? Des faits inexpliqués abondent dans l'histoire française de cette époque, faits qui s'expliqueraient sans doute mieux, comme la mort de Jean Moulin, si cette histoire était écrite. La protection dont GP a bénéficié, y compris pendant les 20 ans de son trafic avec les Soviétiques, me semble donc patente et relever de cette histoire souterraine.
Quoi qu'il en soit, le roman est excellent, bien écrit, même si son rapport à la réalité est douteux. Cela ne devrait en rien gâcher son succès : voyez la Bible ...
Ce livre est le récit de la gloire et de l'extinction de la famille de Camondo.
Ecrit d'une façon simple et directe il se lit bien en dépit de la complexité relative des liens familiaux, amicaux et d'affaire qui unissent les univers où se déroulent les faits.
C'est tout d'abord le monde de la finance juif séfarade pour qui les frontières sont à la fois trop étroites, mais aussi nécessaires pour trouver racine. Ce sera la quête de toute la vie de certains d'entre eux qui y réussiront avec éclat, par le don de leurs collections prestigieuses, mais aussi parfois de leur vie.
C'est aussi le monde aristocratique où ils évoluent, que la guerre de 14/18 mettra à mal qui entretient avec eux une relation paradoxale dont l'antisémitisme larvé n'est pas le moindre ingrédient.
C'est enfin l'univers des collectionneurs, capable par leur fortune, certes, mais aussi par la sûreté de leur goût de bâtir des collections dont le contenu rend rêveur…et dont nous profitons au Louvre et ailleurs.
Ce livre nous fait toucher du doigt l'ambiguïté de la position de ces hommes, mal intégrés par certains aspects et sur-intégrés par d'autres, pour qui la France n'a pas toujours eu une attitude bien digne. Si certains moururent "pour la France", d'autres, livrés, moururent "par la France".
Le récit de l'extinction de la lignée des Camondo est sombre et souvent émouvant.
Un beau livre qui donne matière à méditer.
Editions Gallimard Folio
Page 2 sur 2