"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
"L'obstination et l'ardeur des opinions sont la preuve la plus sûre de la bêtise" Montaigne, III,8
Une sagesse aimable
Un très joli titre, plein d'esprit, comme son auteur en fait preuve tout au long de cette autobiographie romancée.
La forme est celle d'une interview menée par une jeune et jolie journaliste. Même si c'est, en fait, l 'interviewé qui mène le débat, et qui nous livre de sa vie, ce qui lui convient. Il en est d'ailleurs parfaitement conscient, s'en amuse, et le roman, semble-t-il, prend souvent le pas sur le rapport circonstancié d'une vie plutôt réussie.
Tout au long de ces 350 pages, J d'0 fait pétiller son charme, sa culture (beaucoup, parfois), sa mémoire (plus ou moins sincère ?), son talent de conteur, sa philosophie pratique et bien rodée de la vie heureuse. Epicure, pas loin. De plus, et c'est un élément séduisant du livre, J d'0 manie à merveille notre langue, dont il ne cesse de dire qu'il pressent la fin proche.
Tout cela nous vaut des traits vifs sur l'histoire, la politique, l'amour, la peinture, les voyages, etc. Quelques portraits aussi, jubilatoires parfois. Pauvre J.P. Sartre... Et aussi des réflexions de belle volée. Une bien agréable promenade, avec parfois des points de vue saisissants et brillants d'intelligence sensible.
Le livre n'évite pas, parfois, des considérations un peu générales sur le monde qui va, ou des percées qui me semblent un peu confuses sur certains sujets, comme le temps. Bien sûr, ce n'est pas un manuel de physique, ni de philosophie ou d'éthique. Encore que ...
Il n'en reste pas moins que c'est, d'un bout à l'autre, un hymne à la vie, laquelle n'est pas une fête sans larmes, mais doit rester une fête quand même. C'est bien de le dire et de le répéter. Cela tranche sur le ton caverneux des prophètes d'apocalypse qui hurlent dans nos bois.

MS sait écrire un roman. Il le prouve encore une fois : intrigue bien bâtie, belle documentation sur le sujet (ici les marchands d'art), langue facile, etc..
Et pourtant, je n'ai pas eu le même choc qu'avec "La face cachée de la lune'' ou "Small World''. Ces romans ajoutaient une profonde originalité de situation aux qualités évoquées ci-dessus. Sans se prendre pour un spécialiste du monde de l'art, c'est sans doute un univers que l'on connaît mieux que ceux des autres livres mentionnés. La curiosité est donc moins mise en éveil ici.
De plus, je n'ai pas senti la même densité dans les personnages : un héros un peu naïf, face à une pétroleuse sans fard et un portrait de celle-ci un peu trop conventionnel, à la limite de la caricature.
Ne boudons quand même pas un réel plaisir passé dans ce monde des marchands de tableaux et rendons encore une fois hommage à l'écriture fluide et toujours agréable de MS.
MS, qui vient de mourir en 2007, a laissé derrière elle une oeuvre que j'admire. Ce roman ne décevra pas.
MS s'est fait une spécialité des relations humaines difficiles, tendues, souvent basées sur la solitude de ses personnages. Ici, c'est Eszter, la solitaire, qui porte à la fois son talent (et son succès) d'actrice, mais aussi un amour tranchant et impitoyable qui véhicule sa difficulté de vivre et entretient son infranchissable distance aux autres, le thème récurrent de MS. Jalousie, certes, mais aussi refoulements d'enfance mal résolus qui trouvent un exutoire dans une rivale innocente, belle, mais simplette, et même dans l'objet de ce qu'elle pense être de l'amour et qu'elle ne sait pas exprimer.
Il fallait le talent de MS pour faire un roman attachant d'un tel contexte, presque sans intrigue.
D'autant plus que la forme de l'écriture est un peu celle d'un rêve éveillé, discursif, hoquetant, d'un monologue sautant d'un sujet à un autre, comme dans un rêve. Les retours en arrière sont fréquents, comme les changements instantanés de lieu ou d'interlocuteur, traduisant le désarroi de la pensée d'Eszter, mais nous laissant aussi un peu perdus, dans l'incertitude. N'est-ce pas, parfois, un peu trop ?
Un beau livre néanmoins, qui ne se donne pas, mais extrêmement riche.
A lire aussi de Magda Szabo : Rue Katalin, La Porte ou La ballade d'Iza
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