L'auteur est un merveilleux traducteur de la civilisation chinoise vers la notre. Son livre "Vide et Plein" m'avait, en son temps, permis de soulever un morceau du voile de la calligraphie et de la peinture chinoise. Ce livre-ci nous donne à saisir en direct les écrits des maîtres, lecture qui suppose déjà une certaine initiation.
Ce qui me frappe le plus dans cette lecture, c'est peut-être ce qu'elle révèle de la distance qui sépare nos deux mondes de la peinture. Pour faire court, je dirais que le chinois prolonge la création permanente du monde et s'y insère par son trait de pinceau, alors que l'occidental projette son moi dans le monde, tel qu'il est et dont, essentiellement, il se sent extérieur. Ainsi cette pratique de l'art du trait en Chine n'est pas une activité "artistique" entre poire et fromage, mais un mode d'existence pour atteindre à l'harmonie des choses, dont soi est une partie. La manière chinoise est une discipline d'apprentissage long et difficile, pour atteindre à cette harmonie. Le livre de Fabienne Verdier "Passagère du Silence" nous en donne un aperçu !
Un autre aspect me paraît intéressant à noter, c'est le caractère concret, physique, intériorisé de l'apprentissage chinois, mais dont le but est l'ouverture au monde et à ses changements perpétuels. Quelle opposition avec notre idéalisation occidentale de l'individu, qui aboutit dans tous les arts, d'ailleurs, sauf l'éxecution musicale classique, à négliger le métier et souvent à ne plus composer que pour soi dans une forme d'autisme relatif.
Sans doute l'ancienne approche chinoise globale du monde pour en assurer l'harmonie ne conduit-elle pas à la science et au pouvoir sur les choses propres à notre civilisation occidentale, dont le pouvoir de fascination est tel qu'il menace cette antique sagesse. Les ravages sont déjà là ; espérons que les enfants de nos enfants et des leurs sauront construire quelque chose de neuf sur ces bases éclatées !
Un très beau livre qui concerne ceux qui veulent comprendre un peu mieux ...
Editions Points Essais (2006) - 185 pages et 45 illustrations