"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Le héros négatif, Didier le sujet, est un homme inculte, lâche, sans caractère et nourri des préjugés du temps. Mais il a le culte viscéral de l'empire et de l'empereur (Lénine, Hitler ou autres révélations auraient fait aussi bien), culte qui lui épargne de réfléchir et justifie à ses yeux et, hélas, à ceux du monde toutes ses pensées, tous ses actes. Il ne saurait avoir tort, quoi qu'il fasse, puisqu'il a l'illumination de la "vérité". Magouilles, affaires de fesses, lâchetés, détournements d'intérêts, trahisons de ses proches et de ceux qui l'ont aidé, commerce de ses sœurs, mépris des hommes, tout, absolument tout est juste et moral puisque procédant de sa foi qu'il clame haut et fort à l'empereur et à dieu, et qu'on le croit. Son propre succès sera celui de sa croyance et il ne ménage ni ses efforts ni ses intrigues pour l'assurer, c'est à dire s'enrichir, se faire élire, être décoré. Un bel apparatchik avant la lettre, vivant de son mensonge idéologique dans un monde qui ne peut plus ou ne veut plus lui rappeler qu'il est un salaud. Un sujet agissant qui évoque parfois le très beau livre de La Boétie, "Discours de la servitude volontaire".
Ce pessimisme prémonitoire se renforce à la rencontre de deux piliers de l'espoir qui s'avéreront vermoulus : une bourgeoisie libérale raisonnable qui l'est trop pour son temps et ne joue pas son rôle de contrepoids, et un syndicalisme avide de pouvoir et lui aussi convaincu que la "bonne" cause justifie trahisons et compromis inavouables. Ce tableau sombre sera, après l'effondrement de l'empire, réalisé au-delà de la caricature bien sentie de Heinrich Mann. Qui a dit que nous ne pouvions pas prévoir ce qui nous attendait ? Qui peut encore penser que sans la volonté de ceux qui l'habitent, la démocratie puisse par sa seule existence être un rempart à la folie ? Superbe livre à méditer.
Le roman, en revanche, n'est pas d'un style éblouissant. Ecriture, traduction ? Il se lit bien, sans plus. C'est la matière qui s'impose, sous une forme moyenne.
La lumière et l'obscurité sont les héros indissociables de ces promenades au parc. Lumière et obscurité du ciel, des frondaisons des arbres, mais aussi des hommes et de leurs comportements ou de leurs destins. Et, sans doute n'est il pas de joie qui se conçoive sans sa contrepartie, ici ou ailleurs, de larmes et de misère, pas de ciel pur sans brume ou de simple joie de vivre sans qu'ailleurs ou ici, la souffrance ou la mort ne pointent leur nez. C'est notre condition ; et notre liberté consiste à trier, avant qu'il ne soit trop tard, ce qui sied à notre pulsion de vie et de bonheur.
C'est cette dualité inextricable que nous révèle la merveilleuse sensibilité de Valérie Feltesse. Sensible au beau et au bien, comme au laid et au mal, consciente de la difficulté à partager cette vision profonde du monde, où l'un et l'autre sont nécessaires, quoi qu'on en pense, l'auteur dresse sa réserve et sa solitude en éthique qui souvent m'évoque la distance du pratiquant bouddhiste imprégné de compassion lucide pour le monde qu'il habite.
Mais avec quelle tendresse sait-elle exprimer les moments simples mais fugaces qui accompagnent ces promenades ! Et avec quel sens de l'image qui touche ou qui frappe, sans excès ni surcharge !
Un beau livre poétique, moins simple qu'il ne semble ; une belle leçon de vie.
Editions HB - février 2001
C'est bien de la majorité de l'Asie à l'est de l'Inde, et de sa place dans le monde que nous parle ce livre. Livre difficile à résumer, mais construit sur le savoir et la réflexion d'un homme qui connaît bien ce dont il parle.
Quelques idées fortes en composent la trame :
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