"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Il faut avant tout lire ce bref récit, écrit en 1983, comme un roman historique que le sous-titre résume d'ailleurs assez mal. Deux siècles (12 et 13ème) de rêves de conquête des lieux saints par les chrétiens se déroulent ici, et tiennent notre attention de lecteur en éveil. La chose est connue ; mais ce qu'elle révèle du monde musulman l'est moins et peut, aujourd'hui encore, nous aider à comprendre cet univers, que nous ignorons pour l'essentiel.
Lire la suite... Amin Maalouf, Les croisades vues par les Arabes
L'auteur reconstitue ici la vie imaginaire d'un écrivain romain, Albucius, qui vécut de -60 au début de notre époque. Comme tous les livres de P.Q. celui ci est un plaisir littéraire, bien écrit, habile à capter et à conserver notre attention. Le livre a été écrit en 1989.
Reconstitution historique ? Non, plaisir de s'imaginer vivant dans un siècle remarquable (Auguste) comme un acteur de ce temps. "J'invente cette page. Pas un témoignage antique ne la fonde..." dit P.Q.
Entre les pages ainsi inventées se glissent des textes d'Albucius, en latin et traduits. Des histoires souvent violentes et toujours fortes, de vie, de mort, d'amour de viol, d'inceste, de trahison, de désaveux. Mais à travers elles se dessine une pensée moins "domestique", plus haute, plus distanciée. Celle d'un citoyen de l'empire qui connaît les passions humaines et sait que c'est au milieu d'elles qu'il faut construire le monde réel. Il écrit, par exemple, à propos de la liberté des citoyens et citant César : 'les meilleurs d'entre nous sont encore des troupeaux d'affranchis qui regrettent leur âme antérieure et leur plainte'. Platon n'est pas loin, mais aussi Sénèque qui arrive...
Un livre bref, fait de brèves histoires liées par cette biographie imaginaire d'Albucius qui mourut en buvant un dernier bol du lait de sa nourrice. Un peu trop littéraire, non ?
Éditions Livre de poche - biblio 2001
Deux conseils : Lisez ce livre (écrit en 1968), mais commencez par l'appendice page 181 ; un rappel d'histoire, aussi tourmentée, n'est pas inutile.
Nous avons tous en tête le foisonnement artistique qui a eu lieu sous cette brève première expérience démocratique allemande. La peinture expressionniste (Grosz ou Dix, par exemple), le Bauhaus, Th. Mann ou Brecht, le dodécaphonisme triomphant, Nosferatu et l'Ange Bleu, etc. Encore ne faut-il pas oublier tout ce qui existait avant la guerre dans ce domaine, et qui, à mon avis, sans cultiver ce sens du morbide, de l'excessif du déréglé, est d'une plus grande qualité et a laissé des traces plus profondes : fauvisme, impressionnisme, (en Allemagne "Der blaue Reiter" et "Die Brücke"), l'atonalisme et la naissance du dodécaphonisme, etc. Ni oublier que l'expressionnisme n'empêchait en rien ses membres, comme Emil Nolde, de s'inscrire au parti nazi ni d'affirmer leur antisémitisme.
Ce que ce livre met bien en relief, c'est la tragique impréparation des allemands en 1919 à vivre en démocratie, voués jusqu'ici à des régimes impériaux où le sommet pensait pour eux. La liberté oblige à des compromis que refusaient ces âmes encore éprises d'un idéal souvent brumeux de "Kultur" allemande, fait de mythes et de héros, consciemment déraisonnable, proclamant sa xénophobie et son racisme (qui ne date pas d'Hitler), mais tellement supérieur... Les intellectuels et l'université mépriseront cette république naissante, comme Thomas Mann qui changera d'ailleurs d'avis ensuite, ou comme ceux qui ont vu dans l'idéologie marxiste ce qu'ils avaient envie d'y trouver, leur donnant ainsi l'occasion de trahir en bonne conscience la fragile expérience démocratique allemande. Mais n'exagérons pas le rôle des intellectuels... Les déchirements internes de la gauche allemande seraient venus à bout à eux seuls d'un état plus mûr !
Ce que ce livre en revanche ne met pas bien en évidence, c'est que Weimar est mort d'abord de son échec économique, et que pour cette simple raison, ce régime n'était pas viable. Ce n'est pas Hitler qui a pris le pouvoir, c'est Weimar impuissant à nourrir son pays qui le lui a donné. La contribution des alliés à ce massacre est aujourd'hui bien connue :des "réparations de guerre" qui auraient été insupportables pour une économie saine, mettaient l'Allemagne épuisée par la guerre et donc sa république à genoux. Une inflation folle (un pain à mille milliards de marks) en 1923 dont l'origine est le laisser aller et l'incompétence des élus fut une semonce grave. Le gouvernement Stresemann-Schart parut en prendre la mesure. Hélas, la deuxième semonce, la récession de 1929, fut mortelle pour un gouvernement Hindenburg incompétent sans doute, en tous cas débordé et surtout plus préoccupé de politique extérieure ou de gestion des fragiles coalitions politiques que de nourrir et de faire travailler le pays.
Il est certainement prétentieux de refaire l'histoire. Mais sans l'incompétence économique des dirigeants et sans la folle exigence irréaliste des "vainqueurs" ont peut penser que les idées auraient suivi un autre cours, et que l'Allemagne aurait suivi un autre chemin que que celui de son suicide.
Éditions : tel Gallimard (1995)
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