"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Ce livre, humaniste, est étymologiquement politique en s'intéressant à la place de l'homme dans la cité, ou plutôt à son absence de place dans la mégacité. POP procèdera d'ailleurs à une analyse passionnante de la ville et de sa dérive actuelle, la mégacité, caricature d'impuissance.
Un constat, d'abord, celui de la croissance explosive des cités et de la lente dérive vers l'impuissance de leurs systèmes de pouvoir et de régulation, débordés par le nombre.
Devant cette situation la réponse du 20ème siècle, a été de pousser les pratiques du 19ème jusqu'à l'absurde, l'inhumain, l'inacceptable : idéologies de masse, consommation et marchés de masse, culture de masse, urbanisation de masse. Et l'individu voit son identité singulière laminée, pour pouvoir entrer comme une molécule dans la pâte des lendemains qui chantent. Il n'y a plus d'individus qui pensent, souffrent ou jouissent, il reste des flux, des moyennes, des statistiques, une masse. La dimension spirituelle dont l'être individuel unique est le support en prend un sérieux coup ! Non que cette dimension soit "disqualifiée", comme le dit l'auteur, mais elle devient estompée, floue, derrière l'écran des valeurs matérielles triomphantes qui ont permis cet accroissement spectaculaire, historiquement inouï de la richesse et du nombre des hommes sur terre. Comme le rappelle Hannah Arendt dans "Condition de l'homme moderne", ce sont les valeurs de l'homme au travail qui sont aujourd'hui à la parade, à cause de leur succès.
Devant cette situation, où les limites de tolérance se font jour, que faire ? Comment répondre à cette perte d'identité frustrante, quand les idéologies qui n'étaient que des leurres ont toutes failli, et quand, quoi qu'on en dise, les valeurs capitalistes dominantes n'ont ni la puissance globale, ni même l'objet de se substituer à ces idéologies. Sont-elles autre chose d'ailleurs qu'une variante de valeurs de l'homme au travail ? Si l'on ne croit plus aux chances des méthodes de traitement des masses dans l'esprit de ce qui a été fait au 20ème siècle, et si on refuse le retour aux vieilles idéologies religieuses qui ont elles aussi fait la preuve de leur insuffisance quand elles ne se transforment pas en barbaries, convenons que la voie parait bouchée !
A travers une digression sur la perspective dans la peinture asiatique, POP nous achemine à sa thèse : abandonnons l'espoir de bâtir une cité idéale stable, fixe, hiérarchisée jusqu'aux cieux et laissons au mouvement, à la formation (et la disparition) de communautés spontanées, fluides, furtives et ouvertes, le soin de dessiner la forme d'un ordre à venir, plus combinatoire que hiérarchique, plus adaptable qu'idéal et qui trouvera peu à peu sa matérialité dans une nouvelle organisation politique et dans l'urbanisme. En cela, les technologies de l'information, l'internet, sont des atouts nouveaux qui rendent cette fluidité possible, ces expériences, pour la première fois, envisageables .
Tout cela se lit avec gourmandise, dès lors que l'on est concerné par une telle réflexion politique. POP fait pardonner une certaine superficialité de ses attendus par des traits d'intelligence des choses et du monde, qui touchent au but.
Il n'en reste pas moins une interrogation lancinante posée par cette vision. C'est à une phase d'expérimentation et d'adaptation profonde que nous sommes conviés ; or nous sortons d'un siècle d'expérimentation humaine stérile et cruelle. Ne prenons nous pas le même risque ? Cette expérimentation est d'ailleurs en cours ; de quels excès n'est-elle pas accompagnée ? Quand l'homme croit détenir une vérité sociale ou spirituelle il devient un loup sanguinaire pour l'imposer, comme l'histoire l'a prouvé. Quelles valeurs, quels instruments de contrôle sauraient conduire sans accident une telle expérience ? Nous n'échapperons pas à la réponse à cette question.
Éditions Le cherche midi (2001)
Ce livre a été écrit en 1924 pour attirer l'attention sur l'inhumanité des bagnes militaires.
Dante, en effet, n'avait vu qu'un enfer supportable. Les hommes savent faire mieux que le diable. Est-ce par ce que Dieu les a conçus à son image ? La suite du siècle ne sera pas mal non plus...
Il faut mesurer le courage de Londres au fait que n'éxistait pas à son époque la popularité du concept des 'droits de l'homme'. Il s'attaquait avec beaucoup de doigté, mais implacable dans son accusation, à une institution puissante, l'armée, qui venait de "gagner" la guerre. Il a fait là un journalisme qui attire le plus profond respect, utile, digne, sans raccollage humanitaire ou sentimental.
C'est aussi un virtuose de la phrase courte, incisive. Un style exemplaire.
Éditions Arléa-Poche 32 (1997)
Ce très long roman (650 pages) a été écrit en 1929, époque tragique de la vie de l'Allemagne, dont il traduit à travers ses personnages une vision plutôt désespérée.
Un jeune homme de 16 ans, Etzel Andergast, vit sous l'autorité rigide de son père, procureur, qu'il hait. Il a en effet chassé ignominieusement sa femme qui l'avait trompé et Etzel vit séparé de sa mère et en fait de toute affection autre que celle de sa nourrice. Il fourbira une terrible vengeance lorsqu'il découvrira que son père a condamné à tort (et sciemment ?) un homme encore emprisonné, Maurizius, il y a 18 ans. Tous les personnages sont alors entraînés par le flot impétueux de cette vengeance, y compris le vengeur Etzel lui même.
Triste affaire, où il sera facile de gloser sur les principes "bourgeois" inhumains qui conduisent à de telles injustices et à de telles ignominies. Sans doute, mais ce serait un peu simple et mensonger de rêver d'une justice qui ne se trompe jamais, guidée par l'amour du prochain, de maris qui pardonnent les offenses publiques en dépit de leur fonction sociale, d'entente père-fils qui ne passe pas à un moment ou un autre par un rejet œdipien.
J. W. me semble au fond penser que le monde n'est qu'une vaste erreur judiciaire où l'homme se débat selon son talent et ses moyens. Et cette erreur, sorte de péché originel, est si profonde que ni sa révélation, ni son amnistie n'apportent la paix. Tous les personnages sombrent à leur manière et on peut même se demander si leur vie n'avait pas plus de sens au sein de cette erreur qu'après sa révélation. Maurizius avait acquis sagesse et stoïcisme ; la haine d'Etzel, nazi avant l'heure, le rend fort habile et entreprenant ; la bêtise insigne de la belle Anna Jahn la protège mieux que sa beauté ; Waremme mène sa danse satanique ; le père de Maurizius vit de son espoir. Reconnaissons que l'époque était sombre et que ce pessimisme vis à vis du pouvoir du "bien" et du "juste" n'était pas sans fondement.
En revanche, il me semble que ce roman ne "prend" pas. Il est beaucoup trop long et je ne partage pas la délectation de J. W. devant se interminables considérations psychologiques prétentieuses et en général sans grand intérêt. Apprendre que "es femmes bêtes n'ont pas d'âme", ou autres stupidités de ce style rend ce livre difficile à lire tant il est ennuyeux et sonne faux. Tant et si bien que sa thèse même, pourtant intéressante, est peu crédible tant elle est entourée d'un foisonnement de mots vides. Dommage.
Éditions Mémoire du livre (2000)
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