"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Œdipe, déchu de sa royauté est exclus de Thèbes comme conséquence de son double crime. Il va errer jusqu'à sa mort. Sa fille Antigone l'accompagne et Clios, un bandit convertit se joint à eux.
Henry Bauchau décrit avec une rare poésie, et dans un style tragique, tant cette errance que la métamorphose des trois figures du récit. Chacun accomplit un destin puissant qu'il ignore, humain (Clios), royal (Antigone), divin (Œdipe). L'auteur saisit dans ses mots une Grèce caillouteuse et malade de soleil, pauvre et fraternelle, et il y situe sa tragédie. L'épreuve qui attend chacun d'eux ne sera surmontée que par l'effort insensé des corps. La pensée est presque absente. Les mots ne servent plus qu'à capter et échanger des signes surnaturels. Les hommes, sous l'empire de cette vérité qui les conduit n'échangent plus que des pensées conventionnelles, proches de la langue de bois des réunions politiques, syndicales, ou religieuses…
C'est bien là que ces personnages centrés sur eux-mêmes me semblent en fait d'une grande pauvreté, proches de l'inhumanité, mais pleins de certitudes incommunicables. Ils hurlent, ils éructent, ils ont des pressentiments, des visions. Mais ils ne pensent pas, ils ne réfléchissent pas, ils ne construisent rien. Leur raison ne les guide pas. Ils se livrent en bloc à un sort qu'ils ne discutent pas, qu'ils ne cherchent pas à comprendre, esclaves passifs du surnaturel.
C'est pourquoi ce livre me semble un pari littéraire, d'ailleurs remarquable dans sa forme, d'écrire à notre époque une tragédie grecque. Mais ce pays, qui a posé les fondements de l'usage de la raison et de l'organisation politique, mérite, me semble-t-il de laisser dans nos mémoires autre chose qu'une image mythique de déraison, aussi grandiose soit elle.
Editions Actes Sud 1990
Bref roman d'un homme sensible au drame de la déroute des valeurs humaines provoquée par la montée du totalitarisme/fascisme en 1938 en Allemagne.
Pourquoi déroute ? Parce que pour être "de son temps", il suffit de se laisser fasciner par l'espoir d'un monde plus simple, idéal, apparemment généreux, aux valeurs accessibles à tous qui est proposé par cette nouvelle idéologie. Et quelle fascination pour ces jeunes allemands abandonnés par leur société, sans travail, sans place dans le monde, lorsqu'on leur promet un rôle, une dignité ! Et que crèvent ceux (peu nombreux) qui défendent encore les "vieilles" valeurs.
Mais peu à peu la réalité reprend ses droits : ces valeurs simples qu'adopte le héros sont en fait la haine, l'intolérance et la violence ; ce monde victorieux qu'ils va bâtir est un échec économique où la misère s'aggrave, cette place qu'il trouve est celle d'un pion humain que l'on exploite et qui retrouve la même solitude et le même désespoir quand il est usé. Notre héros, qui cesse alors d'être "de son temps" en retrouvant trop tard ses valeurs humaines profondes, n'a plus l'énergie pour en accepter leur fragilité et leur inhérente incertitude. Non, il n'y a pas de solution simple…
Fascisme, communisme, plaies encore saignantes de notre siècle, confusion de l'état et de la société, destructeurs avoués des valeurs "de l'ancien temps", êtes-vous vraiment exorcisés ?
Un superbe petit roman (il se lit en deux heures) au style incisif, et qui n'a rien perdu de son actualité.
Editions Gallimard (l'étrangère)
Ce superbe livre est écrit pour ceux qui rêvent d'Himalaya, qu'ils aient fait le voyage ou qu'ils en fassent un projet, réel ou fantasmé.
A la beauté des photos de J-B Rabouan qui nous donne là les images d'une civilisation attachante et riche, s'ajoute un texte original, d'apparence simple et direct, mais qui se lira a plusieurs niveaux.
Le Ladakh est encore vivant, menacé certes par son ouverture, mais moins que le Tibet voisin. Ce témoignage sur le monde himalayen est une merveille qu'aimeront tous ceux qui tirent une partie de leur bonheur (et d'eux-mêmes) de la diversité du monde.
Editions Cheminements
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