"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Ce livre a été écrit en 1924 pour attirer l'attention sur l'inhumanité des bagnes militaires.
Dante, en effet, n'avait vu qu'un enfer supportable. Les hommes savent faire mieux que le diable. Est-ce par ce que Dieu les a conçus à son image ? La suite du siècle ne sera pas mal non plus...
Il faut mesurer le courage de Londres au fait que n'éxistait pas à son époque la popularité du concept des 'droits de l'homme'. Il s'attaquait avec beaucoup de doigté, mais implacable dans son accusation, à une institution puissante, l'armée, qui venait de "gagner" la guerre. Il a fait là un journalisme qui attire le plus profond respect, utile, digne, sans raccollage humanitaire ou sentimental.
C'est aussi un virtuose de la phrase courte, incisive. Un style exemplaire.
Éditions Arléa-Poche 32 (1997)
Ce très long roman (650 pages) a été écrit en 1929, époque tragique de la vie de l'Allemagne, dont il traduit à travers ses personnages une vision plutôt désespérée.
Un jeune homme de 16 ans, Etzel Andergast, vit sous l'autorité rigide de son père, procureur, qu'il hait. Il a en effet chassé ignominieusement sa femme qui l'avait trompé et Etzel vit séparé de sa mère et en fait de toute affection autre que celle de sa nourrice. Il fourbira une terrible vengeance lorsqu'il découvrira que son père a condamné à tort (et sciemment ?) un homme encore emprisonné, Maurizius, il y a 18 ans. Tous les personnages sont alors entraînés par le flot impétueux de cette vengeance, y compris le vengeur Etzel lui même.
Triste affaire, où il sera facile de gloser sur les principes "bourgeois" inhumains qui conduisent à de telles injustices et à de telles ignominies. Sans doute, mais ce serait un peu simple et mensonger de rêver d'une justice qui ne se trompe jamais, guidée par l'amour du prochain, de maris qui pardonnent les offenses publiques en dépit de leur fonction sociale, d'entente père-fils qui ne passe pas à un moment ou un autre par un rejet œdipien.
J. W. me semble au fond penser que le monde n'est qu'une vaste erreur judiciaire où l'homme se débat selon son talent et ses moyens. Et cette erreur, sorte de péché originel, est si profonde que ni sa révélation, ni son amnistie n'apportent la paix. Tous les personnages sombrent à leur manière et on peut même se demander si leur vie n'avait pas plus de sens au sein de cette erreur qu'après sa révélation. Maurizius avait acquis sagesse et stoïcisme ; la haine d'Etzel, nazi avant l'heure, le rend fort habile et entreprenant ; la bêtise insigne de la belle Anna Jahn la protège mieux que sa beauté ; Waremme mène sa danse satanique ; le père de Maurizius vit de son espoir. Reconnaissons que l'époque était sombre et que ce pessimisme vis à vis du pouvoir du "bien" et du "juste" n'était pas sans fondement.
En revanche, il me semble que ce roman ne "prend" pas. Il est beaucoup trop long et je ne partage pas la délectation de J. W. devant se interminables considérations psychologiques prétentieuses et en général sans grand intérêt. Apprendre que "es femmes bêtes n'ont pas d'âme", ou autres stupidités de ce style rend ce livre difficile à lire tant il est ennuyeux et sonne faux. Tant et si bien que sa thèse même, pourtant intéressante, est peu crédible tant elle est entourée d'un foisonnement de mots vides. Dommage.
Éditions Mémoire du livre (2000)
Ce livre, écrit en 1990, est une réflexion sur l'articulation entre la prospérité d'un peuple et sa liberté politique et sociale. Ce fut le cas à Amsterdam au 17e siècle, à l'époque de Spinoza, Amsterdam qui pratiqua, bien avant 1789, une démocratie fondée sur la liberté de ses citoyens.
Amsterdam n'est que l'exemple concret qui étaye une réflexion beaucoup plus profonde mais toujours proche du terrain, réhabilitant la richesse en face du mépris, très chrétien, de l'argent. Le livre de J. Attali "Les Juifs, le monde et l'argent" exploitera ce thème, appliqué au peuple juif.
Spinoza avait d'ailleurs écrit sans ambiguïté dans son "Traité politique" (V,12 et VII,16) :"Une nations est indépendante dans la mesure où elle est capable de veiller à sa propre prospérité. Il est certain que les hommes sont d'autant mieux en mesure de veiller à leur sécurité qu'ils sont plus puissants du fait de leur richesse." C'est une vision d'hommes libres, indépendants, moteurs, qui s'oppose là aux visions pyramidales des royaumes de l'époque (sans parler des visions totalitaires à venir) où tous les hommes sont censés voir, penser et dire la même chose.
L'auteur analyse en détail la genèse de cette île de liberté et de tolérance que fut Amsterdam au milieu d'une Europe en guerres effroyables ( la guerre de trente ans entre autres) et soumise aux intolérances et aux caprices des églises et des princes. Il montre comment s'est épanouie cette tolérance et comment par exemple Amsterdam est devenue le refuge de la pensée européenne "incorrecte" à travers sa liberté d'imprimer, comme ce fut le cas pour Descartes par exemple.
Quelques ombres planent bien entendu, qui sont traitées sans langue de bois : misère de certains, répression, tolérance de certaines intolérances, (Spinoza en sait quelque chose) et manque de considération pour la défense d'un pays si vulnérable, entre autres.
Ce livre, difficile à résumer porte à la réflexion. Il mérite d'être lu et relu car aujourd'hui encore certaines attitudes idéologiques, souvent incultes et irresponsables, méprisant travail et richesse sont à l'origine de choix politiques tels que ceux qui ont, au XXe siècle, fait tant de mal.
Éditions Puf 1990
Page 315 sur 325