M W (né en 1955) est polonais et vit dans le grand Nord russe, retiré du monde "civilisé". Tout au long des pages de ce livre, il nous offre à la fois le journal passionnant de cette vie de solitaire au coeur d'un monde qui meurt et ses réflexions sur la littérature, la vie et ses rapports avec ses congénères.
Nous connaissons mal ce monde de froid, de lumière basse et d'ennui soigné à la vodka. Belle occasion d'en apprendre un peu plus de première main. Une vie difficile, parfois à la limite de l'acceptable et qui ne fait plus recette. Mais la nature s'y offre encore (pour combien de temps ?) quasi vierge et la vie humaine y est un combat quotidien. Le sens de ce combat fait de plus en plus problème et il faut avoir le goût de la solitude chevillé au corps pour en apprécier le sel.
Cette philosophie de la vie me paraît une lointaine survivance de la folle envie d'indépendance des années "68". Il n'en reste plus grand chose et le modèle fait plutôt fuir qu'accourir les contemporains. Auraient-ils tous tort ? Ce refus latent de civilisation, aussi sympathique qu'il soit, a quelque chose de pathétique. Il me semble que mille choses qui ont fait et font encore le bonheur de ma vie ne viennent pas de moi mais des autres, de cette civilisation qui nous offre le travail et la pensée de tous ceux qui ont vécu avant nous.
A la différence de Fabienne Verdier ( La Passagère du Silence) qui fuyait le monde pour en bâtir un autre, ici la fuite est sa propre fin, consommatrice, jouisseuse.
Cela n'enlève rien au plaisir de lire ce beau livre nostalgique, mais insensible et de faire un tour avec l'auteur dans son pays blanc. A condition d'en revenir.
Sôseki (1867-1916) a écrit ces contes, très brefs, en 1909. Des contes ? Plutôt des pages de souvenirs, personnels, poétiques, presque ineffables parfois. Son remarquable talent en fait des moments précieux de plaisante lecture ... et relecture !
25 petits récits nous attendent, qui se fondent sur une impression, un souvenir, un événement minuscule, un sentiment fugitif. Ce n'est pas ici le temps qui fait bouger les choses, mais les choses éphémères qui donnent par leur fugacité un sens au temps. C'est un peu là l'esprit de l'Asie et surtout du Japon, une sorte de stoïcisme bouddhique, bien loin de notre frénésie productiviste de contrôle du monde par le contrôle du temps. Enfin, c'était, car notre puissante méthode a aussi conquis l'Asie. Une synthèse se fera peut-être un jour ?
Sôseki sait aussi remarquablement jouer avec la réalité ; il nous laisse souvent entre deux nuages, sans nous donner d'indication bien claire pour retrouver notre chemin. Merveilleuse illustration de l'impermanence des choses.
Tout cela se lit avec gourmandise et nous nous sentons infiniment proches de ce vieux Monsieur de plus de cent ans. C'est l'art d'un grand maître que d'être intemporel et universel à ce point. Un très beau livre.
Cet essai, très dense et très documenté, tente de cerner le rapport historique houleux entre Islam et Raison. Il constate qu'existe aujourd'hui une rupture entre ces deux concepts ; et même si, ponctuellement, l'histoire les a vus tenter de se rapprocher, il y a si longtemps que le souvenir en est à peu près mort, bien plus, d'ailleurs dans les pays musulmans qu'en Occident.
La dernière tentative de réintroduction de raison dans le monde de l'Islam a été un échec, du en partie aux choix politiques des régimes nationalistes et souvent marxisants de l'époque d'après-guerre. Le repli a suivi. Le livre 'Un siècle pour rien' abordait déjà cette question.
Ce n'est pas que de nombreux intellectuels musulmans ne se soient pas inquiétés du retard devenu abyssal de leurs pays : savoir, économie, santé ... Mais le poids des théologiens qui ont tout à perdre à l'ouverture à la réalité du monde freine toute réforme de cet immobilisme de la pensée. Leur conviction est que tout débat d'idée sur la loi religieuse est un crime et qu'il doit être empêché à tout prix. C'est pourtant dans ce débat, l'ijtihad, que l'auteur voit une issue. Peut-être, mais comment ?
Quant à l'argument d'Averroès, que la vérité est unique, qu'elle porte sur l'Islam ou sur les lois du monde sensible et donc que foi et raison ne sauraient entrer en conflit, il est certes très fort, mais pour ceux seulement qui acceptent un argument de ... raison !
Un livre passionnant et enrichissant, mais qui laisse, hélas, un sentiment de tristesse devant l'immobilisme pathologique d'une partie importante de notre humanité, fermée, en retrait, violente et blessée, sans rôle constructif dans l'histoire du monde qui se fait. Quel Prince Charmant, soufi, asiatique, chiite ou autre saura réveiller la Princesse ? Au fond, n'est-ce pas cela un messie ?