"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
L'exil, l'immigration comme on dit, a de tout temps été un sujet difficile à comprendre quand on ne l'a pas vécu. J'ai en mémoire le magnifique livre de Stefanie Zweig - une enfance africaine - qui parle de l'exil de juifs allemands en Afrique du Sud. On se souvient aussi des drames des Mann ou des Zweigs (Stefan), qui nous rappellent que l'exil a une histoire qui dépasse largement l'exil de pauvreté que nous vivons en ce moment. Et il n'y a jamais eu sur terre autant d'exilés... Ce roman, qui nous aide à comprendre, est donc utile.
Il n'en reste pas moins que cette banalisation du drame n'en réduit pas sa charge humaine. Ce livre nous prend par la main avec simplicité et nous montre que vivre loin, sans papier, sans ressource ou sans sécurité sociale, est un malheur difficile à vivre, sans compter la rupture affective qui s'y attache. Et si rentrer au pays signifie misère, voire risque vital, que faut-il faire ?
ChM montre aussi ce que cet éloignement apporte comme difficultés dans la famille de l'exilé. Sa place est vide ; il n'existe à peu près plus, surtout si ses ressources faiblissent. Le retour sera dur ...
Le roman nous fait aussi éprouver le contexte, que l'on qualifie parfois un peu vite de raciste, et qui fait s'entrechoquer des habitudes, des traditions difficilement compatibles. Des hommes, blancs ou noirs, qui croient que leurs choix sociaux, humains, économiques sont bons chercheront toujours à les défendre et ils seraient lâches de ne pas le faire. Que cela les conduise à dénoncer (comme dans le roman), ou à faire pire, devient un acte d'homme libre, qui, comme tel, doit être jugé. Mais ne rêvons pas, la conciliation paisible dans une société de modes de vie et de pensée formés par les siècles est une utopie dangereuse. Je crois pour ma part à une tolérance positive et limitée (je n'approuve pas, mais je tolère) et non à une tolérance négative (je ne choisis rien et j'approuve n'importe quoi).
ChM nous parle aussi avec talent de la société africaine et de ses enfermements tribaux, ethniques et traditionalistes. Hélas...
Bien structuré en petits chapitres courts, avec une intrigue à laquelle on peut ajouter foi, ce livre nous fait partager un problème grave de nos sociétés avec simplicité. C'est une réussite.
SZ nous présente là, bien entendu, l'homme plus que la doctrine. Mais peut-on les distinguer réellement ? FN, dans sa solitude forcenée et que ses comportements avaient rendue presque inévitable, vit dans sa tête les principes qu'il énonce. Son influence sur le monde de son temps est, par contre, à peu près nulle.
Sa méthode, à elle seule, est une injure à la componction universitaire. Il court, tel Don Juan, d'une idée à l'autre, change d'avis, change de résidence et, de maladie en maladie, traîne sa carcasse. Mais il préserve l'incroyable acuité de son esprit, envers et contre tout. Il sait, il voit, mais il ne peut rien faire.
Je dirai, à titre personnel, qu’il y a chez lui deux figures inégales. L'une est celle du visionnaire, d'une extraordinaire lucidité, qui comprend que les bases de notre monde vacillent et le montre. C'est le "Crépuscule des idoles". L'autre est celle du créateur de système, que j'aime moins. Il me semble que son ignorance du monde réel et son absolu manque de pratique lui interdisaient autre chose que des constructions fort intellectuelles et excessives.
Cette remarquable biographie aide en revanche à rendre moins distant un personnage essentiel de la pensée contemporaine qui a été souvent exploité à tort et à travers. SZ est vraiment un écrivain exceptionnel !
23 juillet 2009
Je viens de relire ce livre et mon enthousiasme de la note ci-dessus s'est beaucoup apaisé. C'est peut-être l'effet de Nietzsche qui peut provoquer à la fois le blanc et le noir sans faire de gris...
Il me semble que ce portrait passionné, exalté, passe à côté de la pensée de FN, comme si sa genèse importait plus que son contenu. Au fond, cette vision très romantique ne nous apprend presque rien sur une pensée philosophique majeure de notre temps, alors que c'est cela et cela seulement, qui reste de cet homme hors norme.
Ma relecture est une déception.
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