"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Ce livre est un rappel opportun de ce qu'il y a de contemporain et surtout d'actuel dans Montaigne. J'allais dire 'dans la pensée de Montaigne' et c'est bien, tout compte fait, ce qu'il ne faut pas dire ! Sa vie, ses actes, ses remarques sur les événements dont il est spectateur et acteur comptent plus que la tentative, à mon sens vouée à l'échec, de bâtir un 'système philosophique' à partir des "Essais". Comme le dit l'auteur : "Platon pensait que les choses sensibles étaient des copies plus ou moins brouillées des idées qui étaient, elles, les véritables originaux. Montaigne serait plutôt d'avis contraire". La diversité du monde en fait la richesse.
Nous cheminons tout au long de ce livre en compagnie d'un homme dont le modèle semble aujourd'hui un peu perdu. Un homme qui au cours des terribles guerres de religion du 16ème siècle a pu voir que 'ce n'est pas le doute qui rend fou, c'est la certitude'. Nous en avons encore chaque jour la preuve, et les religions n'y contribuent pas pour rien. Montaigne est un homme engagé dans la vie où il jouera un rôle politique significatif, mais qui ne se donne jamais sans se réserver à soi-même : "Nous nous devons en partie à la société, mais en la meilleurs partie à nous". Il se présente aussi comme un conservateur, c'est à dire celui qui se demande ce qu'il doit transmettre à ceux qui le suivent. La fragilité des sociétés, bien ébranlées en son siècle, l'incline à préférer un ordre acceptable à la recherche révolutionnaire d'absolus de liberté ou de justice, par exemple, qu'il estime inaccessibles sans un risque d'explosion. Notre beau 20ème siècle n'a-t-il pas confirmé cette analyse ?
Moins raide qu'un stoïcien, moins épris de système qu'un épicurien, Montaigne n'a pas oublié leur leçon. Il est avant tout un homme attaché au présent, creuset du passage, qu'il nous invite à vivre pleinement, avec bonheur et modestement. Il est sceptique, mais agit et sait que sa raison ne lui donne dans le monde qu'un avantage de circonstance. "Si j'avais à revivre, je revivrais comme j'ai vécu ; ni je ne plains le passé, ni je ne crains l'avenir".
C'est à cette redécouverte familière que nous invite ce livre réussi, à une plongée amicale dans cette sagesse foisonnante et sans rupture, d'apparence simple mais riche et qui fait aujourd'hui bien défaut dans la conduite de nos vies. Relisons les "Essais" !
Éditions Plon (2002)
Makine, écrivain russe vivant, est un musicien des mots, de la pensée et certainement des notes... Il ne démontre pas, n'affirme rien. Il nous invite, par exemple, à l'accompagner dans cette gare froide et malodorante, où il attend un train pour Moscou au milieu d'une humanité modeste qui a froid mais qui supporte sans indignation son état d'"Homo sovieticus". Et il en fait une mélodie d'observations justes et souvent touchantes.
Des bribes de musique parfois rêvées, parfois réelles accompagnent cette attente. Et le narrateur échangera quelques mots avec un homme que le hasard placera à ses côtés dans le train de Moscou, homme qui se révélera être un pianiste accompli, que le la guerre et l'acharnement purificateur soviétique ont privé de son destin, presque de sa vie.
Le train favorise les confidences. En quelques instants la vie de ce pianiste a basculé, là-bas, lorsque ses parents, juifs ont été arrêtés par une police soviétique en mal de pureté ethnique et de pensée unique. Il se sauve et entre dans la clandestinité, trahi, abandonné. Empruntant l'identité d'un mort, il entre dans la guerre qui paradoxalement devient sa planche de salut. Il ira jusqu'à la victoire et le retour à la vie civile, sans cesse poursuivi par des éblouissements de musique, le signe du monde perdu.
C'est le détail, comme dans "Le testament français" qui révèle la qualité de Makine. Ses images sont douces, sensibles humaines. Jamais de violence inutile, de rébellion ;un art de vivre stoïque et exigeant qui n'est ni faiblesse ni renoncement. Ce livre est un hymne à la simplicité et aux hommes qui acceptent modestement de se construire sans illusion, dans un monde qui pèse lourdement sur eux. Une leçon d'humanité peu commune actuellement.
Le Moyen-Orient, pas seulement arabe, occupe une place privilégiée chez tous ceux qui veulent comprendre notre monde actuel. Observer ce qui se passe ne suffit pas à comprendre ; l'histoire est là, qui a sa pesanteur et entraîne le présent. Encore faut-il la connaître assez pour faire sa part, ce qui, dans cette région du monde n'est ni facile ni souvent proposé par les chroniqueurs et échappe d'ailleurs en quasi totalité à nos "humanités".
Lire la suite... Jean Lacouture, Ghassan Tuéni, Gérard Khoury, Un siècle pour rien
Page 289 sur 321