"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Ce livre réunit des articles de SR parus entre 1980 et 1990 dans la presse anglaise et aux sujets divers, mais incontestablement orienté et liés par l'origine indienne de l'auteur aujourd'hui citoyen britannique. Ils ont, pour l'ensemble gardé leur pertinence et leur intérêt, ce qui à notre époque n'est pas un mince compliment.
Au fond, et à la différence de Naipaul, c'est moins l'Inde qui intéresse SR que son propre statut d'expatrié qui lui confère du recul par rapport à son ancien pays et le plonge dans le monde imparfait de l'émigration, où il ne sera jamais un écrivain britannique, mais un écrivain "de langue anglaise", ou pire, "du Commonwealth".
N'étant plus indien, pas tout à fait britannique, il devient un homme du monde, sensible à toutes les causes qu'il estime justes. Il nous parle ainsi à sa manière de la Palestine pour laquelle il exprime sa souffrance.
Particulièrement intéressant est son rapport à l'Islam, sa religion de naissance dont il s'est écarté, mais qu'il connaît bien. Ses articles sur le scandale des "versets sataniques" le prouvent. Son analyse des régimes politiques du Pakistan sont également passionnants.
Il passe aussi en revue des hommes, écrivains, artistes, hommes politiques ; revue pimentée, originale et souvent savoureuse.
Un livre touche à tout mais recommandable à ceux qui acceptent de ne pas espérer qu'il n'y a qu'une bonne façon de voir le monde...
V. S. Naipaul (né à Trinidad en 1932) réside en Angleterre depuis 1950. C'est donc là le livre d'un indien exilé qui comprend encore les mots, mais plus très bien le sens du monde indien et qui se fait un devoir de le retrouver au cours de voyages et de discussions avec des indiens de toutes classes et de tous milieux. Et, bien entendu c'est à nous qu'il le fait comprendre aussi par petites touches.
Son approche est sensible, intuitive, proche de la vie, accumulant faits, paroles, remarques, détails. Rien d'analytique ou d'intellectuel. Refus de juger, en dépit de bouffées d'incompréhension devant les actes violents et criminels dont l'Inde est féconde. C'est d'ailleurs aussi la limite de l'essai, ne concluant jamais, ouvrant peu de perspectives et souvent pessimiste.
Ce que V. S. Naipaul nous aide à découvrir est cependant essentiel et exemplaire pour le reste de la planète : comment fait ce sous-continent, plein de ressources, mais après une longue décadence et la colonisation, pour réussir à construire ses institutions et sa société en faisant un usage raisonnable de la liberté ? C'est là le coeur du livre et c'est bien, en effet, le miracle de l'Inde que l'on espère voir se répandre. Que tout n'y soit pas parfait, on le sait en partie par une presse qui peut s'exprimer. Mais ce presque succès mérite cependant l'admiration et la fierté de VSN qui sait combien son ancien pays est divers (60 langues et presque autant de religions !) et contrasté.
Deux jugements propres à l'auteur méritent la mention. D'abord VSN rabaisse la prétendue "spiritualité" de l'Inde au niveau de la carte postale et ne se fait pas faute de montrer les ravages qu'ont faits et que font encore les fanatismes religieux. D'autre part, il éprouve peu de respect pour l'époque mogole qui n'a pas laissé grand chose en dehors de quelques tombeaux.
On reste sans doute un peu sur sa faim quant aux voies et chemins pris par la modernité pour s'insérer dans cette matière humaine et historique si complexe. Ici la théorie n'est pas de mise. C'est une approche sensible de ce monde lointain et souvent violent, porté parfois aux extrêmes, mais qui ne perd jamais le sens de l'équilibre, qui nous est offerte ici. Le style original, suite d'interviews et de récits contribue à son succès.
Un livre passionnant pour ceux qui aiment l'Inde ou qui s'y intéressent.
J. C. Carrière a appris à connaître l'Inde et à l'aimer. Ce livre en est une évidence, qui nous propose de courts articles sur mille sujets de la vie matérielle aussi bien qu'humaine et spirituelle de l'Inde. Conçu un peu comme un carnet de voyage, chaque article est une invitation à la découverte bienveillante d'un pays qui touche et éveille l'intérêt, mais ne charme pas.
Il nous fait aussi cadeau de nombreux dessins qu'il a effectués au cours de ses voyages, comme ce 'clown de village', ce qui confère une touche chaleureuse et presque amicale à ce livre. Une phrase de la préface éclaire bien l'approche de l'auteur : "Si nous n'aimons pas les hommes, n'allons pas en Inde"...
C'est donc à une balade, proche des indiens vivants, que nous invite J. C. Carrière. Sa façon de comprendre ce pays ne passe pas que par l'analyse ; il nous aide au contraire à bâtir une approche plus intuitive en nous faisant sentir tout ce qui conditionne la vie dans ce pays : la misère, souvent vive, mais ressentie bien différemment de la nôtre, le passé qui se prolonge dans le présent sans rupture, le sens du sacré qui imprègne tout et en même temps des percées spectaculaires dans la modernité.
Et pour compléter ce tableau, ce n'est pas une civilisation qui nous attend, mais une invraisemblable diversité, ethnique, religieuse, bouleversée depuis que l'Inde existe par des conflits qui ont pris toutes les formes que l'homme, pourtant imaginatif dans ce domaine, a pu inventer. Qu'il reste encore de tout cela un état, plutôt stable et qui fonctionne, est aussi un mystère de ce grand pays.
JCC a raison : il faut d'abord aimer. Comprendre vient ensuite.
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