"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
MS, qui vient de mourir en 2007, a laissé derrière elle une oeuvre que j'admire. Ce roman ne décevra pas.
MS s'est fait une spécialité des relations humaines difficiles, tendues, souvent basées sur la solitude de ses personnages. Ici, c'est Eszter, la solitaire, qui porte à la fois son talent (et son succès) d'actrice, mais aussi un amour tranchant et impitoyable qui véhicule sa difficulté de vivre et entretient son infranchissable distance aux autres, le thème récurrent de MS. Jalousie, certes, mais aussi refoulements d'enfance mal résolus qui trouvent un exutoire dans une rivale innocente, belle, mais simplette, et même dans l'objet de ce qu'elle pense être de l'amour et qu'elle ne sait pas exprimer.
Il fallait le talent de MS pour faire un roman attachant d'un tel contexte, presque sans intrigue.
D'autant plus que la forme de l'écriture est un peu celle d'un rêve éveillé, discursif, hoquetant, d'un monologue sautant d'un sujet à un autre, comme dans un rêve. Les retours en arrière sont fréquents, comme les changements instantanés de lieu ou d'interlocuteur, traduisant le désarroi de la pensée d'Eszter, mais nous laissant aussi un peu perdus, dans l'incertitude. N'est-ce pas, parfois, un peu trop ?
Un beau livre néanmoins, qui ne se donne pas, mais extrêmement riche.
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Ce roman est une promenade vivante et intelligente dans l'univers intellectuel en plein foisonnement de la "Kakanie'' viennoise, qui allait trouver son terme à la Première Guerre mondiale. Mais quel feu d'artifice ! S. Zweig, S. Freund, les arts visuels, la musique... Le Monde d'hier, de S. Zweig, en est un magnifique tableau.
Ce qui est en cause ici est la naissance de la démarche psychanalytique, que IY met en scène par le truchement d'une analyse imaginaire de Friedrich Nietzsche par un célèbre médecin viennois, le Dr. Joseph Breuer. Clin d'oeil : c'est d'abord le médecin qui sera traité et qui guérira... Nietzsche, peut-être heureusement pour nous, ne guérira pas tout à fait.
Tout cela est enthousiasmant de culture (IY, psychiatre, connait aussi très bien l'oeuvre de F. Nietzsche !) et d'intelligence. F. Nietzsche est le meilleur patient que l'on puisse rêver pour faire face à la naissance de cette thérapie, basée sur une idée nouvelle de la structure de l'esprit (l'inconscient et sa lutte avec le conscient, source de pathologies) et sur l'avènement d'une technique qui permette un moyen de résoudre les conflits de que cette lutte entraîne.
Et le patient, F. Nietzsche, ne tarde pas à devenir à son tour le médecin, rôle qu'il a la carrure intellectuelle pour assumer et auquel, ici, il se prête avec délice, presque avec férocité. Cela n'est certes pas la cure psychanalytique qui sera peu à peu formalisée, mais les principes sont là : détection du blocage inconscient, passage au niveau conscient, usage du souvenir, de la parole du patient lui-même, etc.
Une omniprésence discrète de la libido (cette pulsion de reproduction que nous refoulons avec plus ou moins de succès et de conséquences) se manifeste dans ce roman sous la forme de femmes-supports, dont le passage, parfois hilarant, de l'incroyable Lou Salomé.
Un livre intelligent dont la lecture est un pur plaisir, ce qui est un succès compte tenu du sujet !
Ce roman, très dense, est une magnifique rencontre, à la fois avec l'Asie coloniale anglaise (en particulier l'Inde et la Birmanie), mais aussi avec les problèmes sans solution rencontrés par ces Indiens qui voulaient à la fois rester loyaux à leur pays, mais en même temps à cette civilisation européenne que les Anglais leur avaient fait connaître et dont ils percevaient le potentiel.
AG fait preuve ici de son talent de conteur exceptionnel et nous fait partager la vie, les espoirs et les désillusions des hommes que la colonisation anglaise domine, non sans souplesse et intelligence, d'ailleurs. Certains s'en accommodent mieux que d'autres, car la perte de l'indépendance de l'Etat ne signifie pas nécessairement l'asservissement des hommes. Sous la dictature militaire birmane par exemple, on regrette certainement la relative liberté de parler et d'entreprendre de l'époque coloniale.
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