"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Le Pr David Khayat est un cancérologue français important, qui livre ici son second roman. Il sait écrire et tenir son lecteur jusqu'au bout.
J'ai été séduit, touché, par la description que ce professionnel fait de sa tâche et c'est me semble-t-il là que se trouve la valeur de ce texte. Traiter la maladie (la technique médicale froide) ou le malade (la compassion) ? Vieux débat ! L'un et l'autre, mais comment et dans quel rapport ? Et le caractère du médecin sera-t-il assez fort pour supporter sans déraper cette charge de vie et de mort que ceux qu'il soignent lui demandent de prendre sur lui ? Comment résister à ce poids de malheur que représente la présence quotidienne d'enfants leucémiques dont il sait que 8 sur 10 le quitteront bientôt ? Quels dérivatif ne trouvera-t-il pas comme exutoire à cette tension, mettant en péril parfois son équilibre personnel ? Les caractères faibles se réfugieront sans doute dans la technique et les très faibles dans une compassion stérile et inactive. Ayons conscience que la place laissée à l'équilibre est étroite.
Quant à l'intrigue "policière", originale et bien conduite, elle s'enlise un peu dans un Himalaya de fiction un peu loufoque. Pourquoi pas...
Laissez vous aller, vous passerez un excellent moment et peut-être serez vous aussi sensible à l'interrogation de cet homme sur son métier. Elle est fort digne et présentée ici avec originalité et sensibilité.
Éditions XO 2002
Jean-Pierre Changeux, entre autres Professeur au Collège de France et grand amateur de peinture du XVIIe siècle, nous offre un nouveau livre de grande qualité et accessible à beaucoup, au prix d'un effort de lecture récompensé. Cet ouvrage porte non seulement sur l'état de la compréhension de la structure et du fonctionnement du cerveau, mais surtout sur son produit, la pensée, et ses moteurs.
J-P Ch. est un chercheur qui projette des hypothèses et vérifie leur adéquation aux observations. Il n'accepte aucune vérité révélée ou en tous cas impossible à mettre à l'épreuve des faits, attitude fondamentalement scientifique. Mais nous vivons dans un univers où pour beaucoup le monde dominé par des mythes, est traversé d'un flux de conscience (mais si !) et où l'âme est encore d'origine transcendante... ce qui, soit dit en passant, ne nous éclaire pas beaucoup sur ce qu'elle pourrait être.
Il sera difficile de dire assez de bien de ce livre !
F. Ch. est chinois d'origine, poète et écrivain, passionné de peinture classique à l'encre (cf. "Vide et plein"), d'une grande sensibilité, qui vit en France et vient d'entrer à l'Académie française. Tout cela forme un mélange puissant, que le tempérament de F. Ch. rend inimitable et extrêmement original.
Tianyi est un autre soi dont l'auteur conduit le destin dans la Chine bouleversée des années 30 à 68. Tous les drames de ce pays martyrisé forment le fonds de cruauté et d'absurdité où le peintre Tianyi essaie de vivre, de découvrir et de conserver son identité, dans une sorte de long et douloureux voyage initiatique. Il connaîtra les japonais inhumains, la guerre civile, les folies et les crimes de Mao. Sa raison vacillera avant sa vie. Il verra autour de lui ceux qu'il aime disparaître dans un tourbillon que rien ne semble pouvoir entraver. Au milieu du roman, une pause à Paris, et un amour qu'il sacrifiera à un désir plus haut et idéalisé. Petite contribution platonicienne à l'absurdité ambiante qui, dans sa quête du sens de l'existence, lui fait échanger une réalité simple pour une chimère...
Et pourtant la lecture du livre apporte un réconfort, une sensation de toucher directement ce qui ne s'exprime pas bien mais qui émeut. Art de la peinture ou de la musique des mots ? Évocation réussie du rapport intime de soi et de la nature qui ne sont en fin de compte qu'une seule entité ? Quel régal que ces ruisseaux scintillants d'images de brumes et d'ombres que Tianyi nous offre ! Peut-être l'auteur a-t-il réussi à combiner, pour nous les rendre proches, les différentes cultures qui l'ont façonné, car aussi "chinois" que soit ce roman, rien ne nous en paraît étranger, tout nous touche. Ou plutôt n'a-t-il pas fait de cette Chine, qu'il aime et idéalise en dépit de ses erreurs cruelles, l'idée au sens de Platon de la cité des hommes ?
Un des plus beaux livres que j'ai lus, en tous cas !
Éditions Albin Michel 1998
Page 298 sur 321