"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Voici un très beau conte, écrit en 2000, comme Maalouf sait les tourner pour un plaisir, sans doute fugitif, mais réel. Un voyage (des voyages !) dans un fauteuil.
Maalouf écrit bien et c'est sa première vertu. Une attente sans suspense, sans drame grandiloquent, sans sexe provoquant (un peu d'amour, d'ailleurs sans trop d'illusions). Une vie un peu plus active que la notre, à la portée de nos rêves. A ce ton "juste" se mêle souvent une pointe d'humour, distance suffisante entre le récit, son auteur et nous qui allions le croire...
Quant aux voyages, Maalouf nous les sert au coin du feu, pleins de rencontres et d'instants inquiétants. Et comme les vrais voyages, ils ne conduisent jamais notre héros qu'à lui-même, à ce qu'il craint, à ce qu'il croit, à ses doutes et à ses espoirs.
Le fil de tout cela ? Un raisonnable marchand de curiosités génois exilé "en Orient", Baldassare, part en 1665 à la recherche d'un livre aux mille pouvoirs (ceux qu'on lui donne ! ) qui lui a échappé des mains. Il le retrouvera et devenu sage par le truchement de ses aventures, le rangera dans un tiroir. Baldassare personnifie ainsi la raison qui doute, mais agit, dans un monde normal donc un peu fou, caractérisé ici par l'attente déstabilisatrice de l'apocalypse. Il glanera au passage quelques éléments de bonne philosophie.. et quelques amitiés.
Il n'en faut pas plus pour passer quelques heures de grand plaisir.
Éditions Livre de poche 15244 (2000)
Cette pièce de théâtre, écrite en 1959 est indissociable de nos jour du film de Costa-Gavras, "Amen". On connaît le thème du film : le silence jugé coupable du pape devant le massacre organisé des juifs dans les camps d'extermination nazis. Le livre me paraît avoir une autre portée, qui inclut cette question bien entendu, mais en pose aussi d'autres, plus permanentes et si je peux dire plus profondes sur la condition humaine.
Pascal Bruckner a écrit en 2002 cette réflexion sur la place de l'économie dans le monde.
Sa thèse est simple : l'économie a perdu le statut de serviteur pour prendre celui de maître de nos sociétés. Elle est même en train d'atteindre celui d'une divinité, l'économisme, dont découle toute vérité, toute morale. Alors que une saine démocratie voudrait la prééminence du choix politique, l'économie n'étant qu'un des moyens.
Le piège est terrible : la concurrence mondiale ouverte, facteur de productivité, devient un trou noir, car l'idéologie de l'économisme en rend la sortie impossible. Il faut tout sacrifier à cet objectif productiviste car toute position acquise est fragile et doit être défendue à tout prix, y compris tous les autres qu'un idéal humain peut espérer. Nouvel enfermement dans une logique impitoyable :instabilité structurelle, menace sur le rapport de l'homme au travail (au fait où pensez-vous que nous en sommes ?), urgence de la réussite 'la victoire ?), destruction corollaire des "freins" : famille, enracinement, relations sociales stables. Nouvelle patrie virtuelle à qui tout doit être donné, y inclus tout espoir de sérénité.
P. B. ne nie cependant pas les succès atteints qui sont loin d'être méprisables : santé, structure sociale ouverte, justice, explosion du savoir. Il serait absurde de jeter le bébé avec l'eau du bain.
Mais ne virons pas à la nouvelle idéologie, l'économisme ultra-libéral, qui prétend que le marché a réponse à tout. Ne nous engouffrons pas encore une fois dans ces idées simples qui ont fait tant de mal. Le capitalisme et le marché, neutres au plan de l'éthique, doivent retrouver leur place. La vie publique et la vie politique, lieux du libre débat sur ces choix doivent être réhabilités pour libérer la vie privée de son enfermement économiste.
Rude tâche, mais qui mieux que la démocratie à une chance de réussir ?
Éditions Grasset 2002
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