"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Thomas Bernhard est un écrivain autrichien de langue allemande, né en 1931, dont la vie fut un combat fréquent contre la maladie. Il le perdra en 1989.
Ce roman, de 1978, décrit une phase de cette lutte, et une victoire, provisoire, de l'auteur. Il nous raconte comment ce dernier prit une "décision" de vivre, à demi inconscient dans le mouroir d'un hôpital sinistre. Et cette décision est un révélateur, une renaissance qui donne à TB l'opportunité d'une vue sans faux semblant sur lui même, sur ceux qui l'entourent et sur la relation entre lui et eux.
La mort des autres, la réification de ces corps qui ont perdu leurs propriétés d'humains, la supériorité autoritaire des soignants, la solitude du mourant et la proximité angoissante de sa propre mort, tout cela est décrit par TB avec une simplicité , une sincérité que je n'avais jamais trouvées ailleurs. A cela s'ajoute la révélation qu'il y a, tout près de cette vie qui fuit, des choses importantes qui valent la peine de décider de lutter pour survivre : un grand-père qui a laissé dans le coeur du narrateur des pensées importantes et chaudes qui donnent un sens au monde, une mère méconnue qui se révèle et, tout au bout, lorsque la solitude est là, la communion avec la pensée des hommes par la lecture des livres qu'ils ont écrits. Tout cela est bien autocentré, dira-t-on ; se reconstruire est en effet le thème de ce livre et s'affirme ici comme la priorité de celui qui a failli tout perdre, même sa vie.
Le style est original : de longues phrases, un ton uniforme, un murmure, une confidence qui ne veut rien oublier car tout peut, à tout moment, basculer.
Un bon livre, sensible et puissant.
Éditions NRF Gallimard 1983
Imaginons une population de 100000 habitants dont 1000 sont atteints d'une maladie. 20 ans plus tard la population a augmenté à 200000 habitants, et 1200 sont atteints de la dite maladie. Faut-il conclure que :
- la maladie a augmenté de 20%, ce qui est un recul ?
- l'incidence de cette maladie est passée de 1,0% à 0,6%, ce qui est un progrès ?
Tout le débat de ce livre est là, ce qui peut paraître, à première vue, futile. Et cependant, il est facile de comprendre que la vision pessimiste, la plus facile à répandre, conduit à des prévisions et à des actions bien différentes de celles de la seconde vision.
Avant d'aller plus avant, assurez-vous de votre adhésion aux points suivants :
- la vision de l'anus du cheval qui défèque est un éblouissement qui peut vous contraindre à l'extase.
- l'enfant mâle pré-pubère est l'achèvement de la création.
- la juste perception de ces deux prolégomènes structure votre vision du monde.
Si ce n'est pas le cas, vous engager dans la lecture de ce livre peut vous conduire à y adhérer, et peut-être même à considérer que la gare de Perpignan est le centre du monde. Mesurez-vous l'ampleur du risque ? Savez-vous aussi que vous verrez ensuite des ogres partout ? Et qu'ils chevauchent le cheval mentionné plus haut quand ils ne pensent, au fond, qu'à chevaucher l'enfant mâle et pré-pubère. Ah, ces artistes, quels vieux cochons. Goethe, au moins faisait appel à la mère du Roi et à ses filles pour servir d'appâts... Ici rien que violence et soumission.
Que MT ait un talent d'écrivain ne se discute pas, et je ne bouderai pas le plaisir que m'a donné la lecture de certaines descriptions de paysages ou de scènes de chasse en sous-bois, par exemple. Il n'en reste pas moins que le délayage, la diarrhée verbale qu'il nous impose est soporifique. Les infinies et souvent dérisoires considérations sur les replis de l'âme du narrateur et des pantins qui l'entourent sont sans poids, conventionnelles. Toute cette légèreté si lourde ennuie, dans une atmosphère ambiguë, malsaine, complaisante.
Et pour rester dans la tonalité anale si chère à l'auteur, il me semble que de beaux coups de pied au cul se sont perdus le jour où le jury du Goncourt a cru devoir couronner cela...
Éditions folio 656
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