"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Synge (1871 - 1909) écrit à 36 ans cette pièce étrange qui nécessite un certain déchiffrage.
Il est irlandais, profondément imprégné de ce pays de tradition orale, pleine de légendes, de mythes, celtiques ou prétendant l'être. Ces mythes, entre autres, vénèrent des figures de héros de temps lointains, d'un courage à toute épreuve, presque invincibles. Ces mythes, aux début du siècle sont récupérés en Irlande, pays en opposition à la Grande Bretagne, par le nationalisme ambiant qui frappe d'ailleurs toute l'Europe. Et ces mythes, dans l'esprit populaire, deviennent réalité, passée certes, mais historique.
Or Synge, comme ses amis Wilde et Yeats, n'accepte pas ce mensonge fédérateur et veut le faire comprendre par cette pièce, que l'on peut voir comme un miroir terriblement déformant (réformant ?) de ce monde paysan irlandais en déclin. C'est à une sorte de psychanalyse qu'il invite ses concitoyens en les faisant accéder à la réalité. Les héros de la pièce, tels Christy ou Shawn, se liquéfient devant la réalité, refusent de se battre ou s'enfuient. Synge montre ainsi que le seul héroïsme encore à la portée de ces hommes n'est pas celui de leurs actes, mais un héroïsme de légende, réfugié dans les mots, auquel on peut adhérer car sa lointaine place dans un passé révolu lui évite d'être mis à l'épreuve du réel, d'aujourd'hui.
Un personnage, Pegeen, qui aime un de ces "héros de théâtre" préférera sacrifier son amour à sa dignité, le jour où elle aura compris que ce héros n'en est pas un. Pour la petite histoire, d'ailleurs, elle en repoussera deux.
Synge aime son pays et il le connaît bien. Son style est celui des phrases de ces paysans qu'il cherche à ramener sur terre, ce que la traduction efface un peu. La pièce fut un scandale à sa première car les antihéros de Synge faisaient horreur à ceux qui confondaient mythes et réalité irlandais, c'est à dire une vaste majorité de ses contemporains. Et même si ce sujet nous concerne au fond assez peu de nos jours, il me semble cependant que ce livre doit être lu, non seulement par ce qu'il bien écrit et bien structuré, mais aussi parce qu'il est un magnifique exemple du rôle que peuvent jouer les écrivains, sans violence ni idéologie, pour accompagner leur peuple dans son éveil.
Éditions La Délirante (1974)
Leopardi (1798 - 1837) est un auteur italien assez peu connu en France, et plutôt comme poète.
Ici, comme l'indique le titre du livre, il s'agit d'un essai assez désillusionné sur la société humaine, car "c'est se montrer bien peu sage et bien peu philosophe qu'entendre que la vie devienne toute sagesse et toute philosophie".
On ne résume pas un tel livre, et il est bien difficile de dire pourquoi on l'aime, ce qui est mon cas. Il me semble y avoir derrière cette pensée mille résonances qui me touchent, mais aussi me charment. Plus d'une fois , en lisant ces propos intelligents et fins je m'étonne d'y trouver le mot, la pensée qui précise exactement mes propres réflexions.
A cela s'ajoute une belle écriture qui nous porte. Un livre à lire et aussi à relire souvent, comme un Sénèque, qui réconforte et apaise.
Éditions Allia (2001)
Ce livre raconte l'histoire effroyable d'un enfant-soldat de ces pays perdus d'Afrique, ici le Liberia et la Sierra-Leonne. Non, Allah n'est pas obligé, semble-t-il, d'être juste dans tous ses actes ici-bas. A lire ce livre, on pourrait inverser la proposition et se demander même s'il l'est parfois...
Résumer les violences et les horreurs commises et vécues par cet enfant, c'est énumérer les turpitudes infâmes dans lesquelles s'installe un être ni meilleur, ni pire qu'un autre sans doute, mais dont nul n'a fait l'éducation et que nul n'a aimé pour lui faire percevoir la valeur d'une émotion humaine "chaude". C'est pire qu'une bête car il lui reste le pouvoir d'intelligence et de nuire d'un homme sans aucune référence morale pour se conduire. Que notre univers "développé" comprenne aussi de tels individus est une évidence ; mais, jusqu'ici la société et ses institutions les contrôlent. Là bas, non.
Ce livre démystifie aussi l'image politiquement correcte de ces guérillas africaine, toutes démocratiques et de libération, qui ne sont rien d'autres que les actes de gangsters et de voyous sanguinaires vivant de vols et de violences selon leur bon plaisir.
Peut-être l'auteur force-t-il un peu le trait pour nous faire partager son impuissance et sa rage devant ce gaspillage humain. Mais je n'en suis pas certain. Sans doute règle-t-il aussi certains comptes... Son manque d'indulgence envers la société des chasseurs (classe d'initiation de nombreux pays d'Afrique) fait question, par exemple. Ses personnages, dont pas un seul ne dit "stop" me parait étrange dans cet univers qui a une histoire et une tradition, et cela retire de la crédibilité historique à ce récit. On reste le nez collé dans la boue jusqu'à l'asphyxie.
Enfin le style n'est pas toujours plaisant ; il est même souvent répétitif au delà du nécessaire et donne envie de sauter des lignes...
Un livre de la même veine noire mais qui reste assez en deçà de son "En attendant le vote des bêtes sauvages".
Éditions Points P940 (2000)
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