"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
J'espère que le succès de ce livre est lié à son prix, 3 euros. Car s'il l'était pour son contenu... Quelques banalités à la mode écolo-palestino-droitdel'hommiste sur un fond individualiste, tout cela est insupportable...pour une démocratie.
Cette flatterie, qui consiste à faire croire à chacun que son jugement et l'indignation qui en résulte face à ce qui paraît inacceptable, valent mieux que le jugement des représentants de sa démocratie, est non seulement une erreur, mais une faute.
La démocratie ne repose pas sur les opinions immédiates, les droits de l'homme, le pouvoir de la rue, la liberté, les élections et autres concepts, certes respectables, mais sur les institutions qui organisent la société et le pouvoir des représentants de cette société, qu'ils gèrent en faisant respecter les idées de la majorité temporaire. Ce qui signifie que ceux qui ne pensent pas comme cette majorité, ont alors deux devoirs : celui de tolérer cette majorité et de préparer, s'ils le peuvent, la majorité suivante autour de leurs idées.
Ce que SH a pu vivre dans des circonstances exceptionnelles et qui a justifié ses engagements et le fait qu'il se soit départi de cette règle est une chose. Nous ne sommes pas dans cette situation aujourd'hui. Son "Indignez-vous !" racoleur, pour des causes d'ailleurs discutables, est une flagornerie, bien dans l'air du temps, adressée au citoyen individualiste (j'ai raison contre tous !) et dominé par ses émotions (l'indignation, par exemple). Exactement le contraire de ce qui fonde les démocraties.
Indignons-nous qu'un tel papier soit un succès !
L'Histoire essaye de comprendre la logique des événements, en laissant dans l'ombre la vie des êtres qui n'en sont pas les héros publics et reconnus. Ce merveilleux journal fait l'inverse, exactement, dans la tourmente des années 1916-1920, en Russie.
Alia est une jeune fille aisée de 17 ans intelligente et sensible qui écrit son journal. Elle sait bien que son pays va mal, que le Tsar est le jouet d'un fou et que Dieu, un peu débordé et peut être même disparu, n'accorde plus une bénédiction efficace à son pays, en guerre avec l'Allemagne.
Ce que dit ce livre sur la perception qu'ont les hommes de leur responsabilité est souvent juste et grave. Mais il le dit dans un tel désordre et sur un tel ton uniforme d'indignation exaspérée, que son impact en est sévèrement altéré.
Tout tourne autour de la conviction que s'est forgée l'auteur que son grand-père, le "Nain Jaune", directeur de cabinet de Laval lors de la rafle du Vélodrome d'Hiver, était conscient du sort qui attendait les victimes et ne peut qu'avoir donné son consentement au déclenchement de cette rafle.
Et, événement aussi grave pour lui, sa famille et ses amis, non seulement ne voient jamais le "Nain Jaune" comme une coupable antisémite, mais vont même, en toute bonne conscience, considérer son rôle comme d'administration des affaires courantes dont il n'y a pas grand-chose à redire !
Cette terrible solitude qu'éprouve alors AJ lorsqu'il condamne son grand-père, le conduit à un profond déchirement : pourquoi suis-je ainsi et tous les autres différents lorsqu'ils considèrent des actes aussi inacceptables ?
C'est le coeur et la matière de cet essai que cette interrogation exaspérée, qui restera sans réponse et laissera l'auteur se fracasser à des évidences qui il est seul à voir, mais auxquelles il ne peut pas donner les attributs d'une vérité incontestable pour tous, alors qu'elle l'est pour lui.
Quant au style, il a quelque chose de l'agitation d'une mouche dans un verre muni d'un couvercle. Il n'aide pas le lecteur à suivre la conviction de l'auteur ni à partager avec lui les faits qui ont permis à cette conviction d'émerger.
Reste aussi l'éternelle interrogation : est-il sage qu'un petit-fils, 60 ans après des faits, certes inexcusables, mette une telle véhémence, une telle passion dans sa dénonciation ? Une affaire qui nous concerne tous se réduit alors à un règlement de comptes personnels. Dommage.
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