"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Une écriture légère et détachée, pour raconter l'apocalypse créée par une épidémie de peste dans le Midwest américain. Et pour nous dire, aussi, que tout n'est pas toujours perdu et que nous pouvons, ou non, fabriquer nous-mêmes, les conditions de notre équilibre et de notre sérénité.
L'intrigue est d'abord celle d'un ménage qui tourne mal. Ce qui serait courant, s'il n'y avait à gérer trois enfants d'un premier mariage, ados difficiles, et un chalet (près d'un ravin !), dans un village sans âme.
Mais surtout, une épidémie de peste détruit peu à peu toutes les fonctions de la société : l'énergie (électricité, essence, etc.) se tarit, la nourriture devient rare et finit par manquer, et les institutions cessent progressivement de fonctionner. Une violence relative s'installe, et l'on sait gré à LK de ne pas trop jouer avec cela.
Devant ce monde terrifiant, une seule ressource : prendre ses responsabilités et faire face, eu s'adaptant à la nouvelle donne. Garder un espoir sans illusion que de tout cela naîtra un nouvel équilibre, qu'il faut construire. C'est ce que fait l'héroïne, Jiselle, qui retrouve sa sérénité et sait créer autour d'elle une chaleur humaine nécessaire à la formation d'un nouveau "Monde parfait".
Bien entendu il faut croire à cette descente aux enfers, dans de telles conditions. Certes le talent de LK, son sens du détail juste, son style vif, léger, y aident. Elle sait user d'images qui touchent, images qui parfois peuvent devenir cruelles ou violentes. Mais que ferait-on d'autre devant la porte de l'enfer ? A noter aussi l'usage fréquent de symboles, comme le sacrifice de l'oie, le ravin, etc. Une remarque, enfin : ce roman est lent, jouant plus l'atmosphère que l'action.
Un petit sourire, quand même, devant ce monde où seules les femmes agissent, et où les hommes disparaissent ou fuient. Illusion à la mode... Et puis, cette autre concession à l'idée politiquement correcte que le retour à la nature et à ses valeurs simples est une solution. Un peu écolo-facho, non ?
A part ces quelques modestes réserves, voici un bon roman, bien ficelé et que l'on a envie de lire d'un trait.
Le chamanisme a structuré la vie communautaire de civilisations nombreuses, mais tend à disparaitre dans sa forme originale. Ce livre est une synthèse remarquable des connaissances actuelles à son sujet et se lit avec un vif intérêt.
Notre perception occidentale de ces pratiques de transes volontaires obtenues dans un but concret est obscurcie par l'usage déplacé du terme dans la vie courante, qui confond chamanes, sorciers et autres mystiques. Souvent, cette confusion est volontaire, entretenue par des charlatans, souvent aussi idéalistes qu'ignorants, heureux de se dresser en maîtres d'un spiritualisme de bazar.
Le grand mérite du livre est de remettre la chose à plat, dans un langage simple, sans esquiver les dérives mentionnées. Qu'est-ce qu'un chamane, quel est son image de référence du monde, comment le découvre-t-on, comment se forme-t-il, que peut-il faire, etc. ? Toutes ces questions et d'autres sont ici abordées en même temps que l'histoire connue de cette pratique.
Mon seul regret est que MP balaye d'un revers de main la physiologie de cette transe, comme n'apportant pas grand-chose au sujet. Soit, mais dans l'autre sens ne peut-elle pas contribuer à notre compréhension du cerveau ? Ce qui peut-être, en retour, apporterait des lumières neuves sur la chose elle-même ?
Ce regret est négligeable en face de la richesse du contenu du livre, dont la lecture est enrichissante et agréable.
L'auteur nous propose, au Tibet, un voyage sur le chemin de notre existence propre et de ses conflits secrets, à travers deux personnages compliqués que le hasard fait se croiser et se comprendre.
Le monde réel (mais support de nos illusions ! ) a donné à Bastien Lhermite deux choses : les épreuves (dont il saura tirer de quoi améliorer son karma) et la méthode pour y parvenir : le bouddhisme tantrique du Tibet.
Il n'atteindra pas l'extinction (le nirvana). Il n'a pas acquis assez de mérite pour ne pas mentir et ainsi sacrifier à l'illusion toute puissante. Nous l'accompagnerons jusqu'à sa mort et son entrée au "bardo" à bord d'un avion au dessus de Berlin, ville qui semble avoir ici le même effet de trou noir que la gare de Perpignan pour Dali.
Au-delà de ce voyage spirituel, qui intéressera ceux qui ont un bagage bouddhique minimum, c'est un vrai voyage dans le Tibet de Lhassa que nous propose l'auteur, avec un talent remarquable.
Un Tibet en voie de sinisation, pour ne pas dire sinisé. Etant allé deux fois à Lhassa (1991 et 1998), j'avais pu constater une transformation si formidable, qu'elle est, à mes yeux, sans retour. Ce récit donne les saveurs encore perceptibles par le promeneur dans le Jokhang, ou sur le Barkhor. Tout cela disparait, sans que je puisse affirmer qu'il s'agit d'un drame qu'il faut éviter à tout prix. La situation antérieure était déjà celle de la fin d'une civilisation figée et impuissante face à la modernité.
Un très beau livre, qui donne à l'auteur l'occasion de rappeler son attachement à la fois au modèle du monde que propose le bouddhisme tantrique du Tibet, mais aussi, moins paradoxalement qu'il y paraît, à ne pas laisser la rumeur infondée salir le souvenir de ce que, concrètement, cette civilisation a réalisé et nous laisse, même si, aujourd'hui, elle ne suffit plus à assurer le fonctionnement d'une société.
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