"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Encore un très beau roman d'AM, humain et souvent émouvant. Une histoire qui pourrait être vraie et qui documente à la fois un monde soviétique passé cruel et violent et aussi et peut-être surtout, des rapports humains éternels, dominés par l'égoïsme et l'oubli.
AM nous rappelle d'abord combien l'époque soviétique aura pesé d'un poids destructeur sur ce grand pays, au-delà de sa catastrophe économique et écologique. Fonder un avenir, une organisation sociale, sur une idéologie déconnectée des hommes réels, conduisait naturellement à leur mépris. Et pire, à leur destruction pure et simple quand l'espoir de leur faire prendre la forme du moule idéal se dissipait. AM n'intellectualise rien ; il montre à travers ses personnages, en particulier Volski et Mila, comment une société, une "civilisation", se détruit en détruisant par la contrainte et l'oubli, ceux qui la composent.
Il dresse aussi, à travers Iana et Vlad, un portrait cocasse et désabusé de la nouvelle Russie où l'égoïsme jouisseur et sans racine, à l'argent facile, donne, pour un temps, l'illusion d'une civilisation d'abondance confondue avec le capitalisme. Les réveils seront durs, ce que la crise actuelle souligne.
Mais surtout, c'est l'histoire tragique de Volski et Mila qui rend ce livre attachant. L'un et l'autre sont, à leur manière, des héros, ayant donné aux autres ce qu'ils pouvaient, jusqu'à leur intégrité physique, sans en recevoir aucune reconnaissance. La vie absurde et déshumanisée qu'ils seront obligés de vivre ne sera en rien allégée par les mérites de leur passé.
Le dépit de ce sort injuste, odieux, révoltant, ils s'accrochent à la vie, qu'ils veulent simple, discrète et utile aux autres. Ils vivent cet espoir à travers leur amour que rien ne détruira. Et quand le partage de leur destin sur cette terre devient impossible et que la mort et le goulag seront leur lot, il leur reste le ciel, vers lequel l'un et l'autre tourneront, ensemble, leurs regards. Cette image magnifique vaut, pour moi, pour un sceau d'espoir, qu'AM place sur les destins détruits par l'inhumanité du monde.
L'écriture est belle, agréable à lire ; parfois, peut-être, un peu moins de virtuosité (au début, par exemple) se coulerait mieux dans cette histoire simple et belle. C'est bien peu, par rapport à tout ce qui fait le très beau roman qu'AM nous livre ici.
J'aime bien HM (japonais, né en 1949), mais peut-être faut-il consommer avec modération ? Allez, soyons francs : je me suis ennuyé parfois et j'ai même eu du mal à terminer ce recueil de nouvelles.
Pourquoi, alors que je partais avec un à priori favorable ? Je vois ici trois raisons essentielles.
D'abord, ces textes peuvent receler pour un autre que moi un sens caché qui m'échappe. Ce ne serait pas la première fois ...
Alors, en absence de sens, je n'ai que peu d'intérêt pour ce que l'auteur raconte. Un éléphant s'évapore ? Bon, et alors ? En quoi devrais-je être concerné ? Qu'il s'évapore donc, si possible en une page et on n'en parle plus.
Enfin, quand un texte décolle du quotidien, j'attends qu'il le fasse avec élégance, poésie, qu'il m'apporte une invitation à m'envoler avec lui. Ici, tout est terriblement terre-à-terre. Aucun trouble ne s'installe en dépit du délire, aucune invitation au voyage.
Étant donné le succès considérable de l'auteur, je me sens un peu gêné de dire cela. Mais c'est ainsi.
On peut difficilement imaginer une histoire plus loufoque que celle-là ! Quelle imagination délirante ! On ne s'ennuie pas.
HM a ce talent, de savoir raconter sur le ton de l'évidence, des histoires qui oscillent sans cesse entre le réel et le fantastique les plus débridés. Il ne prévient jamais que le vent tourne, ni que, derrière le nuage le ciel a disparu.
Alors, bien entendu, vous vous mettez à la recherche du mouton sauvage qui possède le Maître. Vous voyez ce que je veux dire ? Sinon, lisez ce drôle de roman. Ce sera tout à fait clair, au cas où ça ne le serait pas déjà.
Un petit regret : ce jeu subtil avec l'imaginaire et le fantastique pourrait donner lieu à plus de poésie. Je pense à ce que faisait Boris Vian dans un genre très proche. Ici, tout est un peu trop pris au premier degré, et il ne semble pas que ce soit une question de traduction.
Que cela ne retienne pas votre désir d'en savoir plus. Ce livre mérite votre attention. Il ne la laissera pas vagabonder.
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