"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
"L'obstination et l'ardeur des opinions sont la preuve la plus sûre de la bêtise" Montaigne, III,8
Cet attachant roman est d'une grande originalité et d'une touchante humanité. L'auteur fait ici la démonstration d'une qualité remarquable de conteur, en même temps qu'il donne à son récit tous les stigmates d'une vérité tragique bien en phase avec les réalités de notre époque. Il traite en effet dans ce roman à la fois de la dureté de l'exil, mais aussi de ce que fut celle de la perte de sa culture propre sous la colonisation, quels qu'en aient éventuellement été les apports. Il traite enfin de ce que fut l'indépendance, qui succéda au colonialisme, riche en injustice et en violence et qui conduira les personnages du roman à l'exil et à la perte de ce qui avait été jusque là leur place dans le monde. Le prix Nobel de littérature 2021 sera attribué à l'auteur, citoyen de Zanzibar.
Ce roman nous entraîne dans l'incroyable aventure d'un jeune ouvrier français, Lucien, dans les années 1939, empli d'espoir dans un communisme rédempteur. Il bénéficie alors d'une occasion de voyage en terre promise, grâce à son syndicat. Il va assez vite découvrir que, derrière une mise en scène qui peut faire illusion, la réalité de ce "rêve écarlate" est tout autre. Il le vivra dans sa chair, jusqu'au goulag. Sa libération en 1957 le conduira à Paris et à une autre désillusion, celle de la vanité creuse des jeunes intellectuels désorientés. La taïga russe infinie, la vie simple et paisible qu'on y mène, autant qu'un amour sage, l'attireront à nouveau, jusqu'à...
Le lecteur découvre dans ce roman un Makine apaisé, romancier capable d'émouvoir et de donner à penser en même temps, humaniste inquiet et sans illusion sur les systèmes et les constructions intellectuelles, qui avilissent l'homme et l'enferment dans la prison des mots et des idées fausses qu'ils peuvent engendrer. Quant à l’appât du gain et du pouvoir dans un monde qui ne respecte plus les règles et les contraintes de la vie collective et du respect des autres, le dénouement du livre l'illustre avec amertume. Peut-être l'auteur pourrait-il écrire maintenant un autre roman sur ce qu'éprouverait Christophe Colomb, s'il redécouvrait l'Amérique de 2025 ?
Nous sommes environnés de propos si souvent répétés que nous finissons par les prendre pour des vérités. Jusqu'à ce qu'ils guident nos pensées et nos actes. Cela n'est pas nouveau. Qui aurait mis en cause l'existence des dieux dans un passé pas très éloigné, par exemple ? Et pourtant, cela est advenu progressivement chez certains peuples, qui ont réalisé qu'il s'agissait d'une croyance et non d'un savoir. Et qui au passage ont compris que certains avaient, de bonne ou de mauvaise foi, un intérêt politique ou économique à ce que ces croyances soient prises pour des savoirs, pour des vérités incontestables. Cela continue, car il est épuisant de rester en permanence sur nos gardes sous la pression des donneurs d'alertes, influenceurs et autres manipulateurs d'opinion soutenus par les réseaux sociaux, eux-mêmes sous influence.
Ce livre est une enquête sur des alertes rabâchées jusqu'à la nausée par l'information que nous recevons, à savoir les thèmes souvent apocalyptiques de l'écologisme politique. Il présente un travail journalistique d'enquête qui cite ses sources et ses méthodes et n'affirme pas sans preuve, à la différence de ceux pour qui, faire passer une hypothèse ou une croyance pour une vérité est leur gagne-pain.
Un travail de salubrité publique pour lutter contre cette stratégie de la peur, pratiquée par cet écologisme qui a menti et a conduit à des décisions nocives dont il faudra, un jour, qu'il rende compte.
Lire la suite... Géraldine Woessner et Erwan Seznec, Les Illusionnistes
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