"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
"L'obstination et l'ardeur des opinions sont la preuve la plus sûre de la bêtise" Montaigne, III,8
D'habitude, l'histoire, on l'apprend. Ici, mortecoilles, on la vit, on la sent et ça ne sent pas toujours la rose. Et plus vous ignorerez l'histoire de 1048 à 1087, plus vous lirez ce roman comme un thriller historique dont vous voudrez, toutes affaires cessantes, connaître la fin.
L'histoire est celle de Guillaume de Normandie dit "le Conquérant", qui fit de ce pays un pôle puissant et prospère de notre histoire européenne. Rien ne fut simple, dans ce monde féodal divisé, aux alliances en perpétuel changement. Il ne faut pas oublier qu'à cette époque une information mettait plusieurs semaines pour faire quelques centaines de kilomètres, sans preuve qu'elle était bien arrivée. Ceci, au passage, explique en partie la féodalité, fondée sur des liens de proximité. S'ajoute une intrigue policière autour de livres sulfureux, qui pimente l'action.
Ce récit donne chair et muscle à un personnage historique un peu lointain, Jacques Coeur, qui a vécu au 15e siècle et a laissé un magnifique palais à sa ville de Bourges. Si l'on s'est tant soit peu intéressé au personnage, disons d'emblée que ce récit n'apprend pas grand-chose au lecteur qu'il ne sache déjà, mais il le met fort bien en scène.
Certes, bien des choses seront précisées, mais toujours avec ambiguïté entre l'histoire (le livre est bien documenté) et la fiction qui comble les lacunes historiques. Par exemple, le titre d'"argentier" du roi Charles VII prend ici un sens pratique et vivant. Mais surtout, le personnage est en situation, avec ses doutes, ses contraintes et l'exercice de sa liberté de marchand, puis de banquier.
Accrochez vos ceintures, le voyage sera long, varié, ses étapes souvent inattendues et les rebondissements à la hauteur des ambitions d'un polard réussi. What else ?
Ce qui m'a plu dans ce livre est, avant tout, la variété infinie des situations de son intrigue et les domaines qu'il aborde, du nucléaire naissant (nous sommes en 1920) au monétaire (encore fondé sur l'or) à la psychanalyse, même si elle est un peu caricaturale ici.
L'intrigue va alors suivre un labyrinthe passant par toutes ces étapes, quelques personnages clés en assurant l'unité, certains proches de l'idéal humain et d'autres plus noirs que noirs. Que ce soient des banquiers ou des entrepreneurs ne plaide pas en faveur de l'originalité ni de l'indépendance d'esprit de l'auteur.
Quant à Monsieur Freud que l'on va croiser plusieurs fois, il va nous aider à comprendre que la pulsion du mal peut motiver certains de nos actes. Qui en aurait douté en ce temps là, après le massacre de 14-18 ? L'homme ne va pas à la guerre seulement pour son pays, mais pour son plaisir. Alors, par exemple, laisser son personnel sucer des pinceaux imbibés de radium (lisez, vous comprendrez) n'est qu'un moindre mal, même en en connaissant bien les conséquences.
On passera sur quelques invraisemblances scientifiques, comme la trace du radium dans les rues ou l'acide qui perce une plaque d'égout en un temps record. Elles sont un moyen élégant de jouer avec la réalité et nous rappellent qu'il s'agit d'un roman qu'il faut prendre comme un objet de plaisir fugitif. Et ça marche.
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