"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Les ambitions qui échouent signent les actes infâmes d'êtres infâmes. Les actes issus de celles qui réussissent manifestent le génie des héros nimbés de sublime pureté. Et, de tout temps, nous y croyons. N'est-ce pas Staline, Mao, Soros, etc., noirs héros ? C'est ce que cette pièce de théâtre explore, en mettant en scène un général d'exception, un alter-impérialiste si j'ose écrire, qui se rêvait Empereur à la place des Habsbourgs.
Ce portrait coloré d'un monstre sacré du Siècle des Lumières mérite tout à fait notre intérêt. Vivant, incisif, il nous entraîne à imaginer une époque où le scepticisme vis-à-vis du pouvoir ou de la religion était une prise de risque qui pouvait encore s'avérer mortelle.
Ce beau livre est une longue méditation, très littéraire, sur le destin et non, comme on peut le croire un moment, une méditation sur la mort. Avec le style et l'érudition de l'auteur.
Il faut se contenter de peu et manquer de curiosité pour se satisfaire d'un homme, projet et objet d'un dieu. Un avant, un après et le tour serait joué ! Un discret hommage à la dignité solitaire de l'athée précise la vanité de cette piste pour l'auteur.
Quignard apporte bien autre chose, à commencer pas cette évidence qu'une part profonde de nous appartient au monde, à ses lois, à son éternité aussi. Il nous dit que cette part enfouie est celle où s'élabore l'harmonie, la beauté, l'accord, la sérénité. Le Tao, penseraient certains. Il nous dit enfin qu'elle est presque inaccessible et que la forme de la vie qu'est l'homme, pour subsister, doit s'engager dans un commerce social qui la masque, au point de la rendre imperceptible.
Alors, il nous invite, non à rejeter cette gangue sociale, mais à ne pas oublier cette présence profonde au monde. Il nous propose quelques pistes pour y parvenir, dont celle d'un usage déterminé de notre liberté, ou d'un évitement des "prescriptions et des terreurs" qu'impose notre vie avec les autres.
Ainsi, peut-être, la mort, incontestablement la fin sans retour de notre vie sociale, n'est-elle plus la fin de tout, puisque cette part éternelle de nous-mêmes était, est et reste au monde. Et nous la partageons avec tous ceux qui, comme nous, l'auront reconnue.
Le style paisible et poétique de Quignard est le seul qui puisse aborder ces rivages. Un livre à lire et surtout relire.
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