"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
"L'obstination et l'ardeur des opinions sont la preuve la plus sûre de la bêtise" Montaigne, III,8
L'auteur nous propose, au Tibet, un voyage sur le chemin de notre existence propre et de ses conflits secrets, à travers deux personnages compliqués que le hasard fait se croiser et se comprendre.
Le monde réel (mais support de nos illusions ! ) a donné à Bastien Lhermite deux choses : les épreuves (dont il saura tirer de quoi améliorer son karma) et la méthode pour y parvenir : le bouddhisme tantrique du Tibet.
Il n'atteindra pas l'extinction (le nirvana). Il n'a pas acquis assez de mérite pour ne pas mentir et ainsi sacrifier à l'illusion toute puissante. Nous l'accompagnerons jusqu'à sa mort et son entrée au "bardo" à bord d'un avion au dessus de Berlin, ville qui semble avoir ici le même effet de trou noir que la gare de Perpignan pour Dali.
Au-delà de ce voyage spirituel, qui intéressera ceux qui ont un bagage bouddhique minimum, c'est un vrai voyage dans le Tibet de Lhassa que nous propose l'auteur, avec un talent remarquable.
Un Tibet en voie de sinisation, pour ne pas dire sinisé. Etant allé deux fois à Lhassa (1991 et 1998), j'avais pu constater une transformation si formidable, qu'elle est, à mes yeux, sans retour. Ce récit donne les saveurs encore perceptibles par le promeneur dans le Jokhang, ou sur le Barkhor. Tout cela disparait, sans que je puisse affirmer qu'il s'agit d'un drame qu'il faut éviter à tout prix. La situation antérieure était déjà celle de la fin d'une civilisation figée et impuissante face à la modernité.
Un très beau livre, qui donne à l'auteur l'occasion de rappeler son attachement à la fois au modèle du monde que propose le bouddhisme tantrique du Tibet, mais aussi, moins paradoxalement qu'il y paraît, à ne pas laisser la rumeur infondée salir le souvenir de ce que, concrètement, cette civilisation a réalisé et nous laisse, même si, aujourd'hui, elle ne suffit plus à assurer le fonctionnement d'une société.
Ce livre est comme un écho du précédent dans notre univers occidental, où d'autres institutions prennent la place qu'occupe le chamane en Mongolie. Alors, notre chamane en puissance s'y sent bien seule...
De retour en France, CS devient, pour ses amis et ceux qui ont entendu parler de son don, l'objet d'espoirs souvent démesurés. CS n'est plus une chamane, mais elle est pressentie comme sorcière, capable de magie, là ou le reste a échoué : santé, amour, etc. Pour ne pas paraître égoïste ou inutile, ou tout simplement pour se confirmer qu'elle ne rêve pas, elle accepte de rendre quelques services, liés aux pouvoirs qu'on lui prête.
Elle va également poursuivre sa formation en Mongolie, où il faut que les esprits lui parlent. Ce qu'apparemment, ils feront. Encore faudra-t-il que le discours s'établisse dans l'autre sens aussi, pour qu'elle affirme son pouvoir sur eux.
La rencontre avec une ethnopsychologue, qui l'aide à se resituer dans notre mode de pensée est intéressant. Un échange qui deviendra intime, au risque d'y perdre l'objectivité, même relative, de leur relation.
CS nous parle aussi de ses rapports avec des recherches sur le cerveau, où elle se prête au rôle de cobaye. Il serait intéressant de savoir où cela a conduit.
Un livre qui, pour moi, n'a pas le charme du précédent, mais situe bien l'extrême difficulté de croiser les cultures. A ce titre, il est passionnant.
PR imagine le sort des USA à travers le sien si, en 1940, Roosevelt avait été remplacé par Lindbergh, sympathisant nazi. Isolationnisme et antisémitisme font alors cause commune pour refuser toute intervention en Europe, ce qui conduit à une déchirure de la famille de l'auteur, à l'image de la société américaine.
Le talent de l'écrivain sauve un livre, dont je ne comprends pas bien l'objet. Il y a des gens bien et des salauds aux USA ? Comme chez nous. L'antisémitisme y était latent ? Sans doute, mais moins qu'ailleurs. Pourquoi alors remuer cette fange et écrire un livre de plus sur ce pénible sujet ? Cela commence à peser autant que les innombrables récits de guerre avec les méchants nazis (certes, ils l'étaient !) et les bons qui résistent. De plus, cette uchronie n'a pas la crédibilité d'un travail d'histoire, même si, encore une fois, c'est remarquablement écrit.
J'aurais été intéressé par un travail d'écrivain sur l'inextricable mélange de bien et de mal qui nous caractérise et que la situation imaginée ici aurait permis d'aborder. Rien de cela ; les bons sont bons et les méchants, méchants. C'est vrai qu'on est en Amérique...
Quant à la pirouette finale et à la réhabilitation partielle de Lindbergh (PR redoutait un procès des héritiers ?), on aurait pu s'en passer.
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