"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
La perspective d'assister prochainement à l'opéra de Tchaikovski m'a convaincu de lire le roman lui-même, dont est tiré le livret. Quel plaisir ! Cette histoire romantique et touchante, traitée dans une langue enjouée et pétillante de jeunesse est une merveille !
Jamais le texte ne prend au sérieux les difficultés de la vie, qu'elles soient le fruit de l'imagination du romancier, ou qu'elles soient les difficultés réelles des Russes au début du 19e s.Un exemple. Au cours d'un voyage vers Moscou un équipage peine sur des routes défoncées. Et Pouchkine :
Si les Lumières bénéfiques
Avaient chez nous un peu de champ,
(Les tablettes philosophiques
L'affirment, d'ici cinq cents ans,
Voire un peu plus), alors, sans doute,
Nous pourrions transformer nos routes...
Jamais il ne fait la morale, ne dénonce, ne vitupère. Son esprit joyeux et son verbe léger y suppléent.
C'est sans doute ce contraste entre une forme aérienne et une intrigue grave qui fait la saveur du roman, resté un des piliers de la littérature russe. Son succès me semble résulter de sa parfaite adéquation à une constante du peuple russe, souvent appelée son "âme", qui sait, à la fois, subir un destin sombre et s'enthousiasmer sur la beauté des fleurs, un verre d'alcool à la main, car il faut que la vie continue.
Une très agréable lecture, encore aujourd'hui, favorisée par une traduction en vers octosyllabiques remarquable, d'André Markowicz.
Douglas Kennedy est connu pour ses romans. Ici, il donne un reportage (terminé en 1989) sur les états du sud des USA, appelés globalement la "Bible Belt" ! On a souvent le sentiment de lire une fiction échevelée et un peu excessive par les scènes décrites. Et pourtant...
Comme toujours, ce qui nous frappe, c'est la différence. Elle est telle, ici, que notre première réaction devant ces tableaux de fanatisme sans complexe, est de craindre pour la santé mentale des fous de dieu que DK expose dans leur vie courante ou dans leurs lieux de culte. Il montre aussi le rôle déterminant de l'argent, que certains prédicateurs ont réuni par brassées, jusqu'à la nausée... et la prison.
Le protestantisme cherche à créer entre ses fidèles et leur dieu un lien personnel qui doit les rassurer sur leur salut, sans la médiation d'une église structurée. Ce lien est ici sensuel d'abord, peut-être par ce qui il est plus simple à établir. On chante, on crie, ou tape des pieds, on hurle ensemble des phrases simples (p. e. Jésus est là !) jusqu'à ce qu'une forme d'extase ait lieu, que l'on prend, sans vergogne, pour l'établissement du lien espéré. C'est une illumination, classique dans de nombreuses autres activités, dites spirituelles (chamanisme, certains bouddhisme, soufisme, etc.). Ici, celui qui l'atteint se dit né à nouveau (reborn) dans le Christ. Un célèbre exemple est celui de G.W. Bush. Grand bien leur fasse, mais leur prosélytisme rémunéré peut être dangereux et doit être contrôlé.
DGK termine son périple par une touchante note de compassion. Lui, qui désapprouve cette exaltation et ce prosélytisme, essaye de comprendre ce qui conduit ces hommes normaux à cette sorte de délire. Un besoin de solidarité au milieu du "champ de mines des relations humaines" ? sans doute, mais surtout l'espoir qu'existe quelque part un amour absolu, inconditionnel que la vie sur terre nous fait espérer en creux et ne donne que bien rarement.
On pourrait rêver d'un monde où ce cirque ne soit pas nécessaire....
Implacable, la souffrance lancinante suspend le temps, insensibilise, isole. C'est ce que ces nouvelles nous disent et nous font sentir.
Qu'elle soit violente (Gyrophare), ou sourde (Dix-huit, peut-être dix-neuf décembre), cette souffrance occupe tout l'espace, absorbe tout l'air disponible. Plus rien ne bouge, plus rien n'a de sens, plus rien n'importe. L'ère glaciaire s'installe...
Le monde n'est plus que le décor de la mise en scène d'une déchirure irréversible de destins brisés.
Ces nouvelles mettent remarquablement en musique cette désespérance souvent silencieuse. Le ton est factuel, les petits événements s'accumulent sans jamais constituer un récit, mais le simple contexte où se joue l'éternité d'une souffrance qui y est désespérément inscrite.
Malgré le pessimisme qui en émane, ce livre a la beauté du diable. Il est profondément original, même si, parfois, il semble un peu inabouti.
Page 193 sur 321