"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
"L'obstination et l'ardeur des opinions sont la preuve la plus sûre de la bêtise" Montaigne, III,8
Ce que dit ce livre sur la perception qu'ont les hommes de leur responsabilité est souvent juste et grave. Mais il le dit dans un tel désordre et sur un tel ton uniforme d'indignation exaspérée, que son impact en est sévèrement altéré.
Tout tourne autour de la conviction que s'est forgée l'auteur que son grand-père, le "Nain Jaune", directeur de cabinet de Laval lors de la rafle du Vélodrome d'Hiver, était conscient du sort qui attendait les victimes et ne peut qu'avoir donné son consentement au déclenchement de cette rafle.
Et, événement aussi grave pour lui, sa famille et ses amis, non seulement ne voient jamais le "Nain Jaune" comme une coupable antisémite, mais vont même, en toute bonne conscience, considérer son rôle comme d'administration des affaires courantes dont il n'y a pas grand-chose à redire !
Cette terrible solitude qu'éprouve alors AJ lorsqu'il condamne son grand-père, le conduit à un profond déchirement : pourquoi suis-je ainsi et tous les autres différents lorsqu'ils considèrent des actes aussi inacceptables ?
C'est le coeur et la matière de cet essai que cette interrogation exaspérée, qui restera sans réponse et laissera l'auteur se fracasser à des évidences qui il est seul à voir, mais auxquelles il ne peut pas donner les attributs d'une vérité incontestable pour tous, alors qu'elle l'est pour lui.
Quant au style, il a quelque chose de l'agitation d'une mouche dans un verre muni d'un couvercle. Il n'aide pas le lecteur à suivre la conviction de l'auteur ni à partager avec lui les faits qui ont permis à cette conviction d'émerger.
Reste aussi l'éternelle interrogation : est-il sage qu'un petit-fils, 60 ans après des faits, certes inexcusables, mette une telle véhémence, une telle passion dans sa dénonciation ? Une affaire qui nous concerne tous se réduit alors à un règlement de comptes personnels. Dommage.
Cette fresque, presque balzacienne, nous fait vivre, au cours des années 1900, les derniers moments de la dynastie mandchoue, que la République de Sun Yat-sen allait renverser en 1912. Tout cela est écrit avec une paradoxale légèreté par l'épicurien qu'est LY et fait de ce livre un rare moment de plaisir.
L'écrivain (1895-1976) a connu cette période critique de la Chine. Il écrit ce roman peu après son exil en 1939, provoqué par la poussée japonaise. Est-ce une évocation de ses racines et du contexte de sa jeunesse aisée ? Sans doute. Il avait à peine 20 ans quand la République s'installe et ces événements, y compris la Guerre des Boxers, l'ont évidemment marqué.
Il me semble aussi que LY, fin lettré chinois, nous rappelle que les valeurs de sa civilisation et en particulier celles attachées à la molécule familiale sont éternelles. Elles sont, pour lui, la condition d'un équilibre plus profond que celui que recherchent les révolutionnaires de tous poils. Confucius pas mort... C'est au sein de cellules familiales tissées par des mariages, où les sentiments jouent un rôle, mais secondaire, que tout se déroule, que chacun cherche à imprimer sa propre existence. Mais alors, l'individu n'écrit pas sa vie sur une page blanche, mais sur la partition et dans les tonalités que sa famille favorise.
On pourrait presque dire aussi que LY voit dans cet équilibre individu-famille la condition d'une vie humaine où les grandes craintes, comme la misère, la solitude, sont conjurées. Sur cette base, l 'épicurien qu'il est construira sa "vie heureuse", en disposant de la sérénité nécessaire. Il ne saurait pas le faire sans cela, en particulier dans un monde où il serait seul, comme celui que LY sentait venir et qui est aujourd'hui le nôtre. Qui pourrait prétendre que les institutions sociales ont remplacé l'efficacité et la chaleur des liens familiaux ? Mais c'est une autre histoire.
Cette saga est agréable à lire, paisible et est d'une richesse humaine et d'une sagesse qui peuvent encore nous toucher.
Un grand écrivain.
Voir également du même auteur : "L'Importance de vivre".
Le titre, un peu racoleur,ne laisse pas présager l'intensité spirituelle (spirituelle mon cul, aurait dit Zazie) qui émane de cette pochade démente. La correcte disposition grammaticale des mots n'implique ni leur sens ni leur logique. Et pourtant...
Et pourtant, on va au bout de cette aventure débridée, qui (mais si !) nous fera traverser la terre. Expérience intéressante, réservée, bien entendu, aux passes-murailles patentés, qui nous apprend que le temps s'y trouve bouleversé et que, si nous arrivons à l'heure, c'est avec quelques milliers d'années en plus. De quoi jouer au dieu, mais avec gardes du corps, on ne sait jamais.
Quant au vrai Dieu, qui laisse au livre son titre et à l'univers ses oeufs du bout du monde, sa situation n'est guère enviable. Je ne vous en dis pas plus !
Et si l'homme n'a d'autre raison d'être sur terre que de reproduire son espèce (si ce n'était pas le cas, nous ne serions pas là pour en parler), alors vous comprendrez que le héros de ce livre avait déjà, par sa fonction, atteint la sublime prêtrise de cette foi rationnelle : il est spécialiste en reprographie ! Ah, que les mots sont doux et amers lorsqu'on distingue, entre leurs failles, ces gouffres d'absurdité.
Mettons un terme à ce lyrisme ; il nous égare (de Perpignan, bien entendu). Et que ce voile de déraison ne vous prive pas de vous embarquer avec DP pour ce voyage, même si les pirates vous effraient et que les catamarans pourris risquent de vous précipiter au fond. Vous ne vous ennuierez pas !
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