"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Le chamanisme a structuré la vie communautaire de civilisations nombreuses, mais tend à disparaitre dans sa forme originale. Ce livre est une synthèse remarquable des connaissances actuelles à son sujet et se lit avec un vif intérêt.
Notre perception occidentale de ces pratiques de transes volontaires obtenues dans un but concret est obscurcie par l'usage déplacé du terme dans la vie courante, qui confond chamanes, sorciers et autres mystiques. Souvent, cette confusion est volontaire, entretenue par des charlatans, souvent aussi idéalistes qu'ignorants, heureux de se dresser en maîtres d'un spiritualisme de bazar.
Le grand mérite du livre est de remettre la chose à plat, dans un langage simple, sans esquiver les dérives mentionnées. Qu'est-ce qu'un chamane, quel est son image de référence du monde, comment le découvre-t-on, comment se forme-t-il, que peut-il faire, etc. ? Toutes ces questions et d'autres sont ici abordées en même temps que l'histoire connue de cette pratique.
Mon seul regret est que MP balaye d'un revers de main la physiologie de cette transe, comme n'apportant pas grand-chose au sujet. Soit, mais dans l'autre sens ne peut-elle pas contribuer à notre compréhension du cerveau ? Ce qui peut-être, en retour, apporterait des lumières neuves sur la chose elle-même ?
Ce regret est négligeable en face de la richesse du contenu du livre, dont la lecture est enrichissante et agréable.
L'auteur nous propose, au Tibet, un voyage sur le chemin de notre existence propre et de ses conflits secrets, à travers deux personnages compliqués que le hasard fait se croiser et se comprendre.
Le monde réel (mais support de nos illusions ! ) a donné à Bastien Lhermite deux choses : les épreuves (dont il saura tirer de quoi améliorer son karma) et la méthode pour y parvenir : le bouddhisme tantrique du Tibet.
Il n'atteindra pas l'extinction (le nirvana). Il n'a pas acquis assez de mérite pour ne pas mentir et ainsi sacrifier à l'illusion toute puissante. Nous l'accompagnerons jusqu'à sa mort et son entrée au "bardo" à bord d'un avion au dessus de Berlin, ville qui semble avoir ici le même effet de trou noir que la gare de Perpignan pour Dali.
Au-delà de ce voyage spirituel, qui intéressera ceux qui ont un bagage bouddhique minimum, c'est un vrai voyage dans le Tibet de Lhassa que nous propose l'auteur, avec un talent remarquable.
Un Tibet en voie de sinisation, pour ne pas dire sinisé. Etant allé deux fois à Lhassa (1991 et 1998), j'avais pu constater une transformation si formidable, qu'elle est, à mes yeux, sans retour. Ce récit donne les saveurs encore perceptibles par le promeneur dans le Jokhang, ou sur le Barkhor. Tout cela disparait, sans que je puisse affirmer qu'il s'agit d'un drame qu'il faut éviter à tout prix. La situation antérieure était déjà celle de la fin d'une civilisation figée et impuissante face à la modernité.
Un très beau livre, qui donne à l'auteur l'occasion de rappeler son attachement à la fois au modèle du monde que propose le bouddhisme tantrique du Tibet, mais aussi, moins paradoxalement qu'il y paraît, à ne pas laisser la rumeur infondée salir le souvenir de ce que, concrètement, cette civilisation a réalisé et nous laisse, même si, aujourd'hui, elle ne suffit plus à assurer le fonctionnement d'une société.
Ce livre est comme un écho du précédent dans notre univers occidental, où d'autres institutions prennent la place qu'occupe le chamane en Mongolie. Alors, notre chamane en puissance s'y sent bien seule...
De retour en France, CS devient, pour ses amis et ceux qui ont entendu parler de son don, l'objet d'espoirs souvent démesurés. CS n'est plus une chamane, mais elle est pressentie comme sorcière, capable de magie, là ou le reste a échoué : santé, amour, etc. Pour ne pas paraître égoïste ou inutile, ou tout simplement pour se confirmer qu'elle ne rêve pas, elle accepte de rendre quelques services, liés aux pouvoirs qu'on lui prête.
Elle va également poursuivre sa formation en Mongolie, où il faut que les esprits lui parlent. Ce qu'apparemment, ils feront. Encore faudra-t-il que le discours s'établisse dans l'autre sens aussi, pour qu'elle affirme son pouvoir sur eux.
La rencontre avec une ethnopsychologue, qui l'aide à se resituer dans notre mode de pensée est intéressant. Un échange qui deviendra intime, au risque d'y perdre l'objectivité, même relative, de leur relation.
CS nous parle aussi de ses rapports avec des recherches sur le cerveau, où elle se prête au rôle de cobaye. Il serait intéressant de savoir où cela a conduit.
Un livre qui, pour moi, n'a pas le charme du précédent, mais situe bien l'extrême difficulté de croiser les cultures. A ce titre, il est passionnant.
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