"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
JCR nous prévient qu'il n'a pas voulu écrire un roman historique, mais un roman d'aventures. C'est en effet le cas. Avec légèreté et humour l'auteur nous entraîne dans une tourmente dont la toile de fond est la fin de la Perse au 18éme siècle, conquise par ... qui en voulait.
Car cette Perse, si riche, si heureuse avait suivi le sort de ceux qui oublient la fragilité de leurs acquis ou de leur droits ; elle était faible, jouisseuse, cruelle et terriblement intelligente. Mais elle ne savait plus se défendre et ses élites, ses clercs, l'avaient trahie. Le peuple (est-ce historique ?) essaiera dans un dernier sursaut de sauver ce qui peut l'être, en vain. Eternelle roue du pouvoir qui oublie ses devoirs et préfère l'apocalypse joyeuse à la réalité.
Tout cela pourrait faire craindre un livre austère. Il n'en est rien et chaque moment de ce long roman appelle le suivant. Personnages bien campés et souvent attachants, remarques en passant de bonne venue, c'est une littérature directe, agréable et bien équilibrée. On se sent parfois un peu près de la facilité, mais le talent est justement de ne pas s'y enliser.
Voilà l'hiver. Un bon feu, un thé (n. b. je le préfère vert de chine) et une perspective de quelques heures de détente agréable est à votre portée.
Si nous avons quelques doutes, nous humains, sur les dieux, apprenez qu'eux aussi en ont sur nous. Alors, trois dieux optimistes descendent sur terre pour se convaincre qu'il est possible d'y trouver une bonne âme. Leur résultat ne sera sans doute pas à la hauteur de leur espoir. Quant à eux, blessés, sales et épuisés, ils retourneront d'où ils viennent (d'où, d'ailleurs ?) et peut-être auront-ils compris qu'ils sont devenus inutiles, la rédemption par la pauvreté et la faiblesse appartenant à un monde révolu.
Bien me direz-vous, mais où donc se situe l'espoir alors ? BB ne nous livre pas la solution (il ne l'a pas plus que nous) mais nous incite à suivre avec lui l'aventure exemplaire de Mademoiselle 'Chen Té', sorte de de Janus femelle, qui unit une excessive compassion et une sévère rigueur capable de la faire triompher de la veulerie humaine. Mélange improbable sans doute dans la forme coupante qui est proposée mais message précis sur la complexité du monde sans dieux où l'homme doit trouver son chemin avec ses seules forces. Monde plus dur, sans doute, plus exigeant qui, comme la solution de cette pièce de théâtre, reste à construire.
Sans oublier que ce texte, publié en 1941, porte en lui la marque vive des convulsions de l'époque.
Il se lit encore avec grand intérêt.
P. S. : La pièce a été montée au théâtre par Irina Brook. Dérision, populisme, superficiel. Nul et braillard. Ce qui fait l'originalité de ce texte est noyé par une agitation brownienne des acteurs, qui font les clowns (tristes) au milieu d'un tas d'ordures. La petite Bohringer, sympathique dans le rôle de Chen Te, s'écroule dans celui de Chui-Ta. Les autres.. Pauvre théâtre..
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