Voici encore un très beau roman de Makine, bref et hors du temps dans un style fait de sensibilité et de douceur. Makine ne déroute pas, n'éblouit pas. Il parle à mots couverts des hommes et de leur vie, avec simplicité et assurance.
L'histoire est le journal d'un jeune soviétique des années soixante dix, intellectuel correctement dissident, envoyé en mission en basse province pour y recueillir des éléments de folklore local. Un jeune coq qui sait tout sur les femmes, la politique, la vie. Une petite brute moderne comme on en fabrique, chez eux comme chez nous, mais qui par bonheur, voit une partie du monde par le regard sensible de Makine. Cela nous vaut de superbes descriptions de paysages russes.
Le véritable héros est le personnage qu'il rencontre dans ce village perdu, une femme qui attend, dit-on, le retour d'un fiancé parti en 1945 et apparemment disparu. C'est une expectative zen, paisible bien qu'intense, dont tout porte à croire que c'est une aspiration à bien autre chose et dont les mots ont du mal à trouver le contour. Une retraite hors du temps comme une antichambre du paradis, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle place cette femme au masque humain dans un destin irréel.
Cette femme-ange acceptera un instant un bain d'humanité normale pour les beaux yeux de son jeune coq et reprendra, immaculée, son statut angélique, laissant son jeune soviétique patauger dans son ego, abasourdi et lâche, trouvant son salut dans la fuite.
Croire à cela est sans doute un peu difficile, mais que c'est beau !
Si la définition de la consommation est la destruction finale de l'objet, convenons que nous avons ici en main un objet de consommation. Car une fois lu, il ne se relit pas ; il est détruit.
Le lire une fois est une agréable expérience. C'est un roman policier très réussi, qui ravira ceux que l'ésotérisme fait rêver. Et l'auteur nous entraîne magistralement dans son intrigue, tendue à souhait, pleine d'impasses.. où l'on trouve des issues providentielles, jusqu'à une fin en queue de poisson, que l'on espérait plus explosive, plus spectaculaire. Mais ce qui compte, dit-on, c'est le chemin, pas le but.
Le relire aurait un sens si son contenu apportait un savoir à méditer, ou s'il s'agissait d'une approche littéraire de valeurs, de caractères intemporels, ou une qualité d'écriture de haute tenue. Ce n'est pas le cas. Les personnages sont des caricatures bien dessinées, pas des caractères. Le style est parfait pour le genre, mais ne le transcende pas.
Quant au contenu, qui joue sur les mensonges délibérés de l'église chrétienne, est-ce une révélation potentielle, comme l'auteur semble essayer de nous le faire croire ? Pour en être une il faudrait autre chose pour nourrir cette révélation que la reprise de rumeurs ou d'interprétations qui traînent un peu partout depuis longtemps et qui sont d'ailleurs peut-être vraies. Un travail historique aurait été plus convainquant. Je signale par exemple dans cet esprit le livre des travaux archéologiques faits sur les premiers livres de la bible (La Bible dévoilée par Finkelstein et Silberman) qui dispose par son effort de recherche de preuves d'une autre force de persuasion. Qui peut croire un instant que la "révélation" de ce dont "Da Vinci code" nous parle en frémissant aurait de nos jours le moindre écho ? Qui peut croire que l'humanité changerait en quoi que ce soit à la suite de cette révélation ? C'est pourtant la thèse du livre qui, sans cette hypothèse, ne tiendrait pas. Et comme je ne marche pas, je trouve le ressort détendu...
Ceci posé, et donc mis à part le sujet qui aimerait être sulfureux et qui me semble plutôt évaporé, voilà une bonne lecture pour vous détendre, si vous n'allez pas chercher midi à quatorze heures.
La visite récente de la maison de Pierre Loti à Rochefort m'avait donné envie de lire quelques items de la production de cet homme d'une originalité et d'une liberté rares. Ses voyages en Asie dans des circonstances exceptionnelles m'avaient guidé dans le choix de ce récit de voyage en Chine. Je ne suis pas déçu !
Fin 1900, les "alliés" de l'époque, c'est à dire tous les occidentaux valides et disposant d'une capacité de présence militaire envoient à Pékin un corps expéditionnaire pour mettre un terme à la révolte des "Boxeurs" qui fut brève mais effroyable. Cette secte chinoise fut une réaction nationaliste, engendrée par la décadence de l'empire mandchou, mais issue plus profondément d'une réaction à l'envahissement de la Chine par ces mêmes alliés colonisateurs et prosélytes. Sa mise hors d'état de nuire fut l'occasion rêvée d'envahir sans plus de retenue ce pays à la décadence avancée et d'ailleurs bien préparée par la colonisation anglaise dont la guerre de l'opium fut une des faces ignobles.
Quoi qu'il en soit, PL se retrouve membre de la délégation française et son récit se lit comme un carnet de voyage. Mais pas comme n'importe quel carnet relatant des moments particuliers ou amusants ou même parfois émouvants. On a tout cela, bien sûr, mais le bonus, ici, est la sensibilité exceptionnelle de notre homme. Si vous avez traîné vos basques à Pékin (Beijin, voyons !) vous retrouverez ses briques grises, sa poussière, sa vie et plus encore. C'est un vrai 3 D ! Mais surtout nous assistons à l'arrivée d'un des tous premiers occidentaux dans le coeur de la Cité Interdite, la résidence impériale. Il décrit magistralement ici le sentiment complexe qu'il éprouve devant une civilisation qu'il ne comprend pas mais dont il perçoit la grandeur dans une rupture totale avec la nôtre. C'est un enchantement. Nous en savons aujourd'hui un peu plus sur ce monde (je parle pour ceux qui ont fait l'effort de le découvrir) et certaines remarques, telles celles sur les monstres griffus et cornus, peuvent faire sourire. Restons-en par exemple, pour notre plaisir, à ses descriptions du soir qui descend sur les toits de tuiles vernissées des palais et à ces fêtes naïves qui veulent chasser la mort.
Car derrière la description éblouie de cet univers chinois improbable, PL revient sans cesse tourner ses regards pleins d'une vraie compassion vers les victimes des horreurs de cette guerre finissante et dont les traces se voient et se sentent.
Sauf à ne pas m'avoir lu jusqu'ici, vous avez compris mon enthousiasme, qui aurait encore été plus vif si j'avais trouvé, au moins entre les lignes, un peu plus de discernement politique. Mais était-ce possible, si loin de nos bases et en 1900, à la veille de notre boucherie européenne ?