Que se serait-il passé si Hitler avait réussi son concours d'entrée à l'école des beaux arts ? Nul ne le sait, bien entendu, mais si l'on accepte l'idée que que l'histoire n'est pas écrite d'avance et que les actes de certains hommes sont déterminants, alors la question mérite d'être posée. Elle le mérite aussi car elle oblige précisément à se demander comment tel ou tel événement a été rendu possible, quelle décision a été prise et par qui.
EES se livre à ce jeu périlleux. D'un côté l'histoire, assez bien connue, du drame allemand de la fin de la république de Weimar et l'avènement du "Reich de mille ans" et de ses horreurs. Hitler a échoué aux beaux arts mais, tel un artiste, il continue jusqu'à son suicide à inventer la réalité, comme un enfant qui ne veut pas devenir adulte. Il possède un talent de tribun populiste qui fera son exceptionnelle audience. Il ne doute de rien puisqu'il invente le monde. Il a une bonne fois pour toute fui le réel et ce n'est pas son entourage qui aura le courage de le ramener sur terre. Les contradictions et les impasses s'accumulent jusqu'à l'apocalypse que l'on connaît. L'Allemagne épuisée, détruite, sort de son rêve divisée et coupable.
D'un autre côté, l'uchronie : une histoire inventée par l'auteur, mais les yeux ouverts. Adolf H. (il l'appelle ainsi) est reçu aux beaux arts, et surtout devient adulte, c'est à dire conscient du monde réel, de ses limites mais aussi des moments de bonheur profond et de peine qu'il apporte. Pour cela, il se fait aider par Monsieur Freud ; petit clin d'oeil à l'époque. Tout à l'opposé de Hitler, le vrai, il cherche une relation à autrui basée sur la réciprocité. Bien sur, il se trompe parfois et surtout il doute. Mais sa vie sera pleine, aussi satisfaisante et incomplète que celle de tout homme.
Alors pourquoi ces deux voies divergentes dans un même récit ? La réponse est simple : elles ne sont pas divergentes. Elles coexistent en nous en attente de réalisation. Nos actes, nos paroles nous conduisent vers l'une ou l'autre de ces voies, et il existe toujours des passages entre elles. Nul n'est à l'abri des subtils aiguillages de la vie qui nous conduisent vers le bien ou le mal, le beau ou le sordide. Et le choix n'est pas le fait des autres, il est notre fait. Belle leçon de liberté, c'est à dire de responsabilité. Rappel aussi de l'impasse du laisser-faire et de la complaisance excessive : être responsable c'est choisir, c'est à dire refuser ce qui est mal, même si d'autres le trouvent juste. Et décider s'il faut tolérer ce mal ou le combattre. En soi et chez les autres. La tolérance, la vraie, est à ce prix.
Ceux qui, comme moi, aiment réfléchir à ce genre de questions seront comblés par ce livre réussi.
Editions Livre de poche 15537 (503 pages)