"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Amélie Nothomb nous donne ici encore un roman léger, agréable à lire, mais dont l'ambition et le résultat vont plus profond que cette peau lisse de l'apparence. Au fond, elle nous rappelle que l'exil est une souffrance, car notre moi intime que les premières années de notre existence ont nourri et formé est un bloc indestructible qui prend toujours le pas sur nos émotions et désirs ultérieurs. Et donc, ici, que l'amour du Japon ne signifie pas que l'on puisse devenir japonais, ni, surtout, perçu comme tel par les autochtones.
Je ne sais pas si l'on doit lire ce récit incandescent. Il est des vérités si douloureuses qu'elles paralysent la raison sans laquelle les passions, seules, mènent la danse jusqu'au prochain crime. Le sang appelle le sang ; les dieux s'en nourrissent et en redemandent, sans pour autant apporter la paix. Comme le dit l'auteur, "parce que Dieu ne suffit pas..." Dieu, cette image rêvée de la folie d'absolu des hommes. Non, il ne suffit pas. Alors, quand certains hommes commettent en son nom des massacres abyssaux, d'autres excusent les hommes pour ne pas avoir à excuser Dieu. Être victime devient alors un péché et l'Aube, un crépuscule. Ce livre frémit de crimes et d'impuissance humaine.
Il faut lire ou relire ce roman puissant, dont l'image est troublée par la réputation excessive de ses scènes crues. Il contient en effet une réflexion sur l'évolution de l'Angleterre de 1928, mais qui vaut également pour l'Europe. L'arrivée violente de l'industrialisation y détruit les structures sociales fondées sur la propriété terrienne. À cette structure, perdant son utilité et non remplacée, se substitue une évolution vers l'individualisme que nous constatons encore de nos jours. Mais il contient aussi des réflexions passionnantes sur la formation d'une personnalité, sur la beauté du monde qui perd ses droits, sur la richesse et ses sources, etc. Un très grand livre.
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